Jef Van Staeyen

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un tournant aux Beaux-Arts à Lille

En mars 2019, j’ai publié sur ce site un texte déjà plus ancien, mécrochages aux Beaux-Arts à Lille, où je critiquais quelques choix d’accrochage, dans ce musée que j’aime visiter tant pour l’ambiance qui y règne que pour la beauté de ses collections.
L’accrochage qui m’irritait le plus était celui de la Descente de Croix de Rubens, dont la vision était fortement gênée par les reflets d’une fenêtre de la salle adjacente. Tant en 2014 qu’en 2019, je m’étais adressé aux responsables du Musée, qui a l’occasion avaient partagé mon avis: nous savons que le tableau de Rubens “La descente de croix” n’est pas bien positionné et nous envisageons de lui procurer une nouvelle place afin de permettre une meilleure appréciation de l’œuvre.

Retournant au musée ce jeudi 16 juillet (2020), je fus agréablement surpris de constater qu’on avait amélioré l’accrochage du tableau, lui accordant une place équivalente (et donc aussi solennelle), mais dans la salle suivante, à l’abri des reflets.

Certes, la disposition actuelle est provisoire, pour un événement open museum music #6, qui justifie ou explique l’installation d’un carousel musical au centre de la salle. Mais le directeur du musée, qui passait par là, et que j’ai interrogé à ce sujet, m’a déclaré qu’on est très satisfait du nouvel emplacement, et qu’on compte le garder. Je m’en réjouis.
[Il m’a d’ailleurs fait comprendre qu’un nouvel accrochage pourrait être réalisé pour les tableaux hollandais, qui constitue un autre point de mon texte de mars 2019.]

Le tournant des fauteuils ne me passionne pas particulièrement — ni pour la couleur, ni pour le mouvement — mais il me plaît d’imaginer que cet aménagement disparaîtra, laissant le tableau à son nouvel emplacement.

 

Mais pourquoi, ce Rubens?

Ce détail, ce traitement pictural de la robe de Marie-Madeleine, est une des raisons pour laquelle je retourne souvent voir ce tableau.
Ce qui de loin se présente comme des matières très riches et précieuses apparaît de près comme quelques simples traits de peinture, astucieusement positionnés.

Jeanne à Oran

(Ceci n’est qu’une miette, une rognure d’un voyage que je viens de faire par huit villes du Nord-Ouest de la France. D’autres textes suivront, et peut-être réunirai-je ensuite l’ensemble dans un texte plus long et complet.)

 

On dirait que le bûcher, sur lequel Jeanne d’Arc a brûlé le 30 mai 1431 à Rouen, n’est pas tout à fait éteint, que le feu couve encore, car cette dame demeure un sujet conflictuel, pas entre Français et Anglais — ces derniers s’en sont dégagés — mais entre Français et Français, au sujet de la place qu’elle prend dans l’imagerie et l’identité nationales du pays. Je serai donc prudent, car je sais que les sujets abordés ci-après ont parfois fait l’objet de discussions enflammées. Il suffit de souffler sur les braises, si je peux dire.

L’Église catholique, qui en son temps avait tué Jeanne d’Arc, l’a béatifiée en 1909, soit quatre ans après la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905, pour la canoniser en 1920 et la déclarer sainte patronne secondaire de la France en 1922 (la Sainte Vierge étant la patronne principale), renforçant ou voulant rétablir ainsi les liens ancestraux entre pouvoirs terrestres et célestes dans l’Église de France. [Ainsi, ce ne sont pas des saints chrétiens mais bien des rois qui dominent les façades des cathédrales gothiques à Chartres, Amiens, Paris et Reims, et on discute de savoir si ce sont ceux de France ou de Judée, les uns étant considérés comme les dignes successeurs des autres.] Pensez Église quand vous dites France, et France quand vous dites Église, telle est l’idée.

Ce statut permet à Jeanne d’Arc d’être célébrée aussi bien dans les rues que dans les églises du pays, et de bénéficier de deux fêtes sur le calendrier, l’une catholique, le 30 mai, l’autre légale, le second dimanche du même mois (certains leur préférant le 1er mai, mais ça c’est une autre histoire). Depuis 1979 une église Sainte-Jeanne d’Arc, inaugurée par le Président de la République Valéry Giscard d’Estaing, occupe la place du Vieux Marché à Rouen, où se trouva le bûcher. Elle y succède à une église Saint-Sauveur, détruite lors de la Révolution, et intègre les vitraux de l’ancienne église gothique Saint-Vincent, située en bas de la ville et détruite en mai 1944 lors d’un bombardement. (Anglais? non, américain). Ces vitraux, sans aucun lien avec l’histoire de Jeanne d’Arc, avaient été mis en sécurité dès 1939 par un Service des Monuments historiques particulièrement prudent.
Ceci dit, en temps normal, avec le marché, les restaurants et leurs grillades, les touristes et les badauds, l’ambiance sur la place et dans l’église est plus à la fête qu’au recueillement. Fût-il religieux ou patriotique.

Caen

La place du Vieux Marché à Rouen n’est pas le seul concentré, ou raccourci, de l’histoire de France, entre Jeanne, Révolution, guerre, Église et République. La place de la Résistance, sur l’avenue du 6 juin [1944], à Caen, l’est presque autant. Car on y trouve cette étonnante statue de Jeanne d’Arc. Ou plutôt: cette étonnante inscription “Oran 1931, Caen 1964” sur le socle d’une statue de Jeanne par ailleurs très conventionnelle, équestre et dorée.

D’ordinaire, c’est ainsi qu’on inscrit les victoires. Je m’attendrais donc plutôt à lire “Orléans 1429”, ou “Patay”, “Saint-Pierre-le-Moûtier”, voire “Reims” ou “Sainte-Catherine-de-Fierbois”. Quelle est donc la bataille d’Oran à laquelle Jeanne aurait pu participer en 1931?

La réalité est plus simple, et plus proche de nous: le cinqcentenaire de la mort de Jeanne d’Arc, également centenaire de la conquête française d’Oran, a été l’occasion d’ériger une statue de l’héroïne devant la cathédrale de cette ville, dans ce qui était alors l’Algérie française. Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, qui n’a pu être obtenue que grâce à une guerre contre le colonisateur (“les événements”) et la sagesse du général De Gaulle, alors Président, la cathédrale a été transformée en bibliothèque et la statue déménagée vers Caen, à l’initiative de son maire, anti-gaulliste déclaré.
Ce n’est donc pas pour faire la nique à Rouen, l’autre capitale normande, mais pour célébrer l’Algérie française, que Jeanne d’Arc est présente dans la ville. C’est fou toutes les causes qu’à travers les âges on a demandé à cette jeune femme de porter.

une jolie brunette

Mon étonnement jehannesque ne s’arrête pas là. À quoi ressemblait-elle?
Car si Jeanne d’Arc a été brûlée vive, comme une sorcière, et les cendres jetées dans la Seine, c’était à la fois pour mieux la punir, la torturer, servir d’exemple par l’horreur, que pour éviter qu’il n’en demeure la moindre trace, d’éventuelles reliques qu’on pourrait vénérer.
De Jeanne, il ne reste donc rien, et les descriptions la concernant sont sommaires, parfois même contradictoires, et souvent indirectes. Il n’empêche, des siècles plus tard, le nationalisme et le romantisme aidant, quand le culte de Jeanne a commencé, les artistes ont bien su à quoi elle ressemble. C’est en tous cas ce qui m’est apparu dans la salle qui lui est consacrée au Musée des Beaux-Arts de Rouen. Regardez.

Comme d’autres artistes avant eux, il y a des siècles et des siècles, ont donné au Christ une physionomie qui plaise à leurs commanditaires, les romantiques du dix-neuvième ont peint des Jeanne au goût de leur temps: les cheveux presque noirs, légèrement ondulés, la peau pâle, lisse et immaculée, rougie sur les joues, les yeux grands dans un large visage, le menton fin, et surtout cette innocence du regard, cette apparente fragilité. Une jolie brunette. Avec pour quelques-uns, comme ici Georges William Joy (1895), un irlandais, et surtout Isidore Patrois (1867), une certaine influence, me semble-t-il, des Pré-Raphaelites anglais. Oubliant la statue qu’elle a eue à Oran, d’aucuns ont pu voir dans ces portraits imaginés une justification pour refuser des Jeanne moins blanches.

Je conclus toutefois avec une œuvre différente, également vue dans le musée de Rouen. Une scuplture dont je n’ai pas noté l’auteur, ni l’année de sa création. Un autre visage, et un autre regard, une assurance, qu’elle porte au-delà des spectateurs-admirateurs que nous sommes.

le déclin de l’Occident

(Ceci n’est qu’une miette, une rognure d’un voyage que je viens de faire par huit villes du Nord-Ouest de la France. D’autres textes suivront, et peut-être réunirai-je ensuite l’ensemble dans un texte plus long et complet.)

… ou la descente d’un escalier

Il fait partie de toute formation en architecture d’apprendre, dès la première année, la conception d’un escalier.  Quatre principes guident cette conception:

  • Le rapport entre la hauteur et la profondeur des marches (le giron) se définit par une formule simple: deux fois la hauteur plus une fois le giron égale environ 63 cm [2h + g = 63cm]. Plus le giron est important, sans toutefois dépasser 35 cm, plus l’escalier est facile.
  • Sauf pour les escaliers lents, les marches doivent avoir un “nez” qui dépasse la contre-marche. Contrairement à ce qu’on penserait spontanément, ce nez est surtout important pour pouvoir descendre sans tomber: en l’absence de nez, on ne trouve pas assez de place pour poser le talon après avoir posé la plante du pied, et risque de tomber en avant (ou de devoir mettre les pieds en biais et de ralentir.)
    Le nez peut aussi être formé par l’inclinaison de la contremarche.
  • Les escaliers les plus courts (jusqu’à 3 ou 4 marches) doivent être particulièrement lents: de faibles hauteurs de marche pour de larges girons. [Cette règle simple est parfois oubliée dans la conception des espaces publics.]
    Idéalement, un escalier d’une certaine importance démarre avec une première marche plus lente que les suivantes (plus basse et plus profonde), afin de fluidifier le mouvement.
  • Les escaliers qui combinent des parties droites et des courbes font l’objet d’une attention particulière pour régulariser la ligne de marche (ou de foulée), et pour élargir la partie de l’escalier facilement praticable: le balancement des marches. On décalera et, dans une certaine mesure, harmonisera les extrémités intérieures et extérieures des marches dans la courbe même et dans les foulées droites attenantes.

Le non-respect de ces règles peut être toléré dans les escaliers domestiques, mais serait source d’accidents dans les escaliers utilisés par le public, et notamment dans les escaliers de secours.

Il n’empêche!
Voilà, en haut à droite, sur ces photos, l’escalier, également escalier de secours, d’un hôtel tout neuf au Mans: pas de “nez”, et surtout aucun balancement des marches. L’escalier est certes large, sans doute pour répondre à une exigence réglementaire d’évacuation en cas d’incendie, mais il n’est praticable que sur une étroite ligne de marche, par ailleurs éloignée des mains courantes.

J’aurais dû confronter cette image du 21ème siècle avec la vue “en plan” d’un escalier ancien, tel que j’ai pu en admirer plusieurs lors de mon voyage. Mais je dois me contenter d’une image autrement intéressante du savoir-faire des anciens. Voilà (à gauche) l’escalier autoportant de l’Abbaye aux hommes, à Caen (18ème siècle). La stabilité et la beauté de cet escalier tiennent à la qualité de la stéréotomie (l’art de la découpe et de l’assemblage des pièces en pierre de taille, dans le but de construire des éléments architecturaux tels les voûtes, les encorbellements, etc.).
Il serait vain de vouloir un travail de cette qualité pour un escalier (de secours) d’un hôtel d’aujourd’hui — qui par ailleurs risque d’être démoli, pardon: déconstruit, d’ici quelques décennies. Mais ce dernier, même en béton, aurait pu être correctement balancé, afin d’être praticable.

Quelles sont les chances de survie d’une civilisation qui ne sait plus dessiner des escaliers?

un Rubens hollandais à Saumur

(Ceci n’est qu’une miette, une rognure d’un voyage que je viens de faire par huit villes du Nord-Ouest de la France. D’autres textes suivront, et peut-être réunirai-je ensuite l’ensemble dans un texte plus long et complet.)

 

Voilà ce qu’il m’a été donné de voir à Saumur, dans son église Saint-Pierre: un Rubens! (ou presque). La pancarte “école hollandaise” qui l’accompagne a de quoi étonner l’anversois que je suis.
L’œuvre (1862) doit être de la main de Ferdinand De Braekeleer le vieux (Anvers 1792-1883), père de Ferdinand le jeune (1828-1857) et du célèbre Henri (1840-1888), oncle d’un autre Ferdinand Adrien (1818-1904) et, par sa sœur, beau-frère d’Henri Leys (1815-1869). Une famille de peintres anversois.
Ferdinand De Braekeleer a contribué à la restauration des triptyques de Rubens dans la cathédrale Notre-Dame d’Anvers: l’Érection de la croix et la Descente de croix, dont cette toile à Saumur est une copie.

De vrais Rubens, j’en ai toutefois rencontré dans les musées des beaux-arts de Rouen (l’Adoration des Bergers, vers 1615, initialement à Aix-la-Chapelle); de Caen (Abraham et Melchisédech, vers 1615-1618, initialement à Cassel, en Allemagne); et de Tours (Vierge à l’Enfant et Portrait des Donateurs les Époux Alexandre Goubau et Anne Antoni, entre 1608 et 1621, initialement dans la cathédrale d’Anvers). Des saisies révolutionnaires, distribuées sur les musées de province.
Ces Rubens sautent aux yeux: par leurs compositions, leurs carnations, et les attitudes et visages des personnages représentés, ils dépassent en force et en beauté l’immense majorité des œuvres présentes dans ces musées.

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