Dix-neuf trains, dont deux TGV, six tramways, quatre à Besançon et deux à Anvers, un métro, la ligne 5 à Paris, et une voiture, d’un aimable automobiliste à Langres, m’ont permis de visiter en ce mois de juin 2022 une dizaine de villes du Centre-Est de la France. Ci-dessous, dans un texte assez long, je remercie tous ceux qui m’ont facilité ce voyage, j’exprime le plaisir que je ressens en voyageant comme je l’ai fait, de ville en ville, compare mon choix à d’autres modes de voyage, signale brièvement les principaux lieux visités, et fais un long détour par mon histoire personnelle et mon lien avec ce pays, que malgré mon retour en Belgique je continue de découvrir.
Avant toute chose, je veux remercier les agents de la SNCF, aux guichets, dans les gares, sur les quais, dans les trains. Ils ont rendu possible mon voyage.
J’exclus toutefois de mes remerciements ceux qui ont conçu le site web de vente de billets. Ou plutôt: qui ont conçu la stratégie commerciale, car elle vise à créer la confusion dans la tête des voyageurs, et à leur vendre ce dont ils n’ont guère besoin.
[J’ai néanmoins réussi à glisser mes lourds bagages à l’intérieur de l’hôtel quand une cliente est arrivée qui avait besoin d’un coup de main — le mien — pour ouvrir la vieille porte d’entrée avec la grosse clef qu’on lui avait donnée.]
À Chalon-sur-Saône, la numérotation des voies est aussi simple que l’orthographe du nom de la ville.
Aussi — et quand-même — je remercie les hôteliers, cafetiers et restaurateurs, et surtout leurs personnels. Ils ont rendu possible mon voyage, et ils ont montré le rôle social qu’ils jouent quand leurs établissements sont comme des espaces publics — ce qui est particulièrement vrai pour les cafés-restaurants, parfois hôtels, dans les villes petites ou moyennes à faible rayonnement touristique. [Ailleurs, la stratification des clientèles éloigne les gens les uns des autres.]
J’exclus toutefois de mes remerciements ceux qui ont conçu la plupart des sites web sur lesquels s’établissent les réservations. Ou plutôt: qui ont conçu la stratégie commerciale dont ces sites sont l’émanation et l’outil, car ils inondent les voyageurs de messages inutiles, pour mieux les attraper dans leurs filets.
Je remercie les gens des musées et des églises, qu’ils soient préposés à l’accueil ou présents dans les salles. Ils ont rendu possible mon voyage, parfois même en acceptant que j’entrepose mes bagages le temps de la visite.
J’inclus même ces quelques gardiens de salle que, visiteur trop rare, j’ai perturbés dans leur sommeil. Il a fait chaud, très chaud, et je comprends leur attitude. J’exclus toutefois — ou nuance mes remerciements — pour certains concepteurs de musées qui inondent les visiteurs de textes ou d’outils interactifs, alors que c’est les objets mêmes qui m’intéressent. Et j’exprime mon regret que le Musée du Temps de Besançon ne se soit rouvert, après rénovation, que le jour où j’ai quitté cette belle ville.
Dans la même ville, dans le Pavillon de l’Industrie, aucune pancarte n’accompagne les objets. Au visiteur il est proposé de se servir d’une tablette qui impose son rythme — sa durée — et qui empêche de voir les objets exposés. J’ai vite arrêté.
Je remercie les gens avec qui j’ai bavardé, car ils ont rendu agréable mon voyage. Je pense en particulier au couple âgé à Besançon, de retour dans leur ville, où ils souhaitent se réinstaller. Je leur souhaite de réussir leur projet. Je remercie les gens qui ont assuré, organisé… de petits événements dont j’étais le témoin: le violoncelliste chez le luthier, qui s’essayait au premier concerto pour violoncelle de Joseph Haydn. Ou les organistes en concours dans la cathédrale de Besançon.
Concours d’orgue dans la cathédrale Saint-Jean à Besançon, le jury.
Je remercie tous les gens dont, bien involontairement, j’ai écouté les conversations. Dans le train, au restau, dans la rue. Surtout les français, car ils sont porteurs d’une ambiance qui m’est toujours familière, même si je m’étonne souvent du creux de leurs propos. Le bavardage compte davantage que ce qu’on se dit. Je remercie le voyageur au téléphone dans le train de Paris à Vierzon, placé juste derrière moi — la SNCF demande pourtant de ne pas téléphoner dans les voitures, hormis sur les balcons —, qui mélangeait allègrement propos professionnels et privés. “Bienvenue au club” dit-il quand il apprend que son interlocuteur, avec qui il prépare une conférence académique, vient d’être planté, lui aussi, par son amour (sa compagne, son épouse), pour plus jeune que lui. Iront-ils boire un verre ensemble, pour noyer le chagrin, comme il m’est arrivé, à l’issue de leur conférence qui aura pour objet le sort des réfugiés? Aussi, je remercie le gars sur la terrasse d’un restaurant à Nevers, intarissable, qui ennuyait sa femme, ses parents et son fils avec ses certitudes, ses savoirs et ses avis. Est-il aussi bavard et pédant au boulot, parmi ses collègues, ou garde-t-il pour sa famille tous les propos qu’il a dû ravaler? Et celui au Creusot, ouvrier du nucléaire avec sa bande de stagiaires, bien obligés de l’écouter et de rire de ses blagues. Ou cette phrase captée dans la rue à Besançon: “J’ai pas trouvé transcendant ce qu’il a dit.” Ils sont formidables, les français. Ils sont transcendants.
Enfin, je tiens à remercier l’automobiliste qui m’a conduit, moi et mes bagages, de la gare de Langres vers mon hôtel dans le centre-ville, 2500 mètres plus loin, mais surtout 130 mètres plus haut, alors que le chemin qui y mène n’est pas fait pour marcher. Langres n’était pas sa destination — il venait chercher ses filles à la gare — mais trouva sympa de m’amener. En paroles, nous avons fait le tour de la région. Merci encore. Et bonne route, toujours!
À gauche le trajet de 2019, que j’avais complété d’un retour en TGV de Tours à Lille, et à droite celui de 2022. Montchanin, Dijon, Belfort et Chaumont n’étaient pas des étappes, mais des gares de correspondance, le cas échéant complétées d’un arrêt dans une brasserie. Dijon et Chaumont ont chacunes fait l’objet de nombreuses visites antérieures (en excellente compagnie, d’ailleurs). Quant à Montchanin, ce n’est guère plus que deux(!) gares. J’ai visité Blois (en 2019) et Tournus (en 2022) en logeant respectivement à Tours et à Chalon-sur-Saône.
Vous l’avez compris, en ce mois de juin j’ai réalisé une suite au voyage ferroviaire de 2019, qui avait failli me mener à Vierzon. Il est vrai que pour vraiment boucler les parcours entre 2019 et ’22, j’aurais dû commencer par un TGV pour Tours, d’où je serais parti pour Vierzon. Mais comme j’aime — j’aimais — la gare de Paris-Austerlitz pour son ambiance du Midi et des vacances, j’ai préféré un Intercité de Paris à Vierzon — il a Toulouse-Matabiau comme destination. J’aimais, je dis, car dans la folie urbanistique parisienne de couvrir toutes les voies ferrées, la gare d’Austerlitz a perdu son charme et détruit mes plus beaux souvenirs. Austerlitz n’est plus ce que c’était.
Berry, Bourgogne, Franche-Comté
Après Vierzon: Châteauroux? Montluçon? Bourges et sa cathédrale? Qui sait? m’étais-je demandé en 2019.
Finalement, j’ai plutôt choisi l’Est. La direction Est, j’entends — Berry, Bourgogne, Franche-Comté et un coin de Champagne. Après Vierzon, Bourges a été la deuxième étape, un saut de puce, il est vrai. Pour continuer vers Nevers, puis Paray-le-Monial, Le Creusot, Chalon-sur-Saône, Besançon, Vesoul. Un voyage de Vierzon à Vesoul donc, auquel j’ai ajouté Langres, ainsi qu’une excursion de Chalon à Tournus. Qui connaît la géographie française, et celle ferroviaire de surcroît, se rend compte que cet itinéraire est plutôt irrégulier. La “faute” à trois raisons: (1) les villes de Paray-le-Monial, lieu de pélérinage, et, plus surprenant, du Creusot, centre industriel, sont mal desservies par le train, et demandent des détours par des voies peu circulées; (2) le chef-lieu de département qu’est Vesoul n’est pas relié par voie ferrée avec son (ancienne) capitale régionale qu’est Besançon; et (3) ayant déjà visité Autun et Dijon, même plusieurs fois, je ne comptais pas y retourner, même si leur position aurait été logique sur mes trajets.
Je dois vous l’avouer: j’aime être servi quand je suis en vacances. Je ne parle pas de l’automobiliste à Langres, dont c’était un geste amical. Mais pour tous les autres, à la SNCF, dans les hôtels et les restaurants, dans les musées et parfois les églises, c’était — c’est — leur métier de servir. Au sens noble du terme. Dans un autre contexte, dans le journal De Standaard, en néerlandais — leve de balie, leve de mensen —, j’ai plaidé pour le maintien des agents d’accueil dans les musées — que d’aucuns proposaient de remplacer par des sites web et des machines. Ces métiers sont essentiels. Ces gens sont essentiels. Apprécions-les. Pas seulement en touriste, mais également dans la vie quotidienne.
Loin de moi l’idée de me faire servir chez moi. Les livreurs de colis ou de repas, c’est pas mon truc, et je ne vais pas faire faire le ménage ou la lessive, hormis les draps, mais j’aime qu’il y ait des gens dans les magasins, dans les bureaux de poste, dans les gares et les trains… ainsi qu’au téléphone pour répondre quand j’appelle une entreprise ou une administration. [Avez-vous remarqué que les personnages virtuels, plutôt bornés, sur le web et au téléphone sont des femmes, et que personne ne réagit?]
Un avocat se rend au Palais de Justice de Vesoul (Pascal Coupot, 2004)
Il est vrai qu’il y a plusieurs façons de voyager, dont certaines — aussi respectables — renvoient au contraire à l’isolement, au mode de vie de l’hermite. On part à pied, en vélo, en moto (Traité du Zen et de l’Entretien des Motocyclettes, Robert M. Pirsig, 1974) ou même en voiture, avec de quoi camper, et se donne, pour quelque temps, une illusion d’autonomie. Besoin de personne. Où il faut quand-même constater que ceux qui vont à l’extrême, les alpinistes ou les navigateurs qui fuient le monde civilisé et se mesurent aux forces de la nature, ont dans leur bagages et leurs équipements tout ce que la civilisation humaine sait produire de plus moderne et de plus performant. Ce qu’ils réussissent est vraiment extrême, pas de doute là-dessus, ça force l’admiration, mais ils ne coupent aucunement le cordon ombilical qui les lie à la civilisation et à ses technologies. Quelqu’un qui l’a pourtant essayé est le jeune américain Christopher McCandless (1968-1992), dont Jon Krakauer a écrit l’histoire tragique dans Into the Wild (1996), porté à l’écran par Sean Penn en 2007. McCandless s’était volontairement mal préparé pour affronter la vie en dehors du monde. Par deux fois il se fait piéger par la crue d’une rivière — la deuxième lui sera fatale —, ses savoirs botaniques ne suffisent pas pour identifier ce qui est comestible, et son fusil serait trop léger s’il devait se défendre contre un ours. Quant à Jon Krakauer, afin de donner chair à son livre, il y raconte aussi d’autres expériences extrêmes, dont les siennes. Dans le chapitre 8, il cite un certain Gene Rosselini dont “la vie d’adulte a commencé avec l’hypothèse qu’il était possible de redevenir un homme de l’âge de pierre”, mais qui a “découvert qu’il n’était pas possible aux êtres humains tels que nous les connaissons de vivre à l’écart de civilisation.”
Je reviens toujours aux mêmes livres — et pourtant, j’en lis beaucoup — car le constat de l’impossibilité de vivre à l’écart de la civilisation est aussi celui que fait Alfred Issendorf, bien contre sa volonté, dans le roman “Ne plus jamais dormir” (Nooit meer slapen) de Willem Frederik Hermans (1966). Perdu au milieu des montagnes norvégiennes, les fjellen, il constate son incapacité à survivre dans la nature, même la moins hostile (la Norvège en été, ou sa Hollande natale), car il n’arrive pas à distinguer ce qui comestible de ce qui ne l’est pas.comme un VRP
Sans tomber dans l’opposé extrême, le séjour ou le circuit organisé, le cas échéant en groupe et avec un guide, mon voyage fut donc pour moi l’occasion de rappeler, voire de célébrer ma dépendance, comme individu, d’une société qui — à travers ses trains — va jusqu’à m’imposer ses horaires. Et ma dépendance des autres. Une dépendance que, les années passées, l’épidémie de covid et les solutions mises en œuvre collectivement pour la combattre nous ont rappelée avec force. [Lire, sur ce site: 2020, l’année des pouvoirs publics.] Ce voyage était comme je conçois la vie. Je l’affirme clairement, même si le voyage s’est fait en France, pays dont j’ai toujours la nationalité mais où je n’habite plus: si je suis citoyen d’un pays, c’est par les espaces publics, les rues et les places qu’il m’offre, par les trains qu’il fait rouler et les courriers qu’il envoie à mon attention, par les musées que je peux visiter (et, avouons-le, les églises — la différence n’est pas si grande que ça, l’Art étant devenu une religion, avec ses prètres, ses théologiens et ses scribes, qui sont les seuls à pouvoir en causer), par ses restaurants, cafés, hôtels et commerces que je peux fréquenter. Il l’est par ses soins, et le soin qu’il prend de moi. Et par les gens qui y vivent. Par sa société. Un pays, c’est ça, bien plus qu’un nom, un drapeau, des frontières ou un hymne. Quant à la place de la langue, elle est complexe. La langue ne doit pas être un drapeau de plus, mais elle est quand-même l’outil par lequel on s’entend. La langue est un espace public.
C’était un des objectifs de mon voyage — pas complètement atteint, j’en conviens: de visiter un pays ordinaire, quotidien, éloigné des hauts-lieux du tourisme. Si Barcelone déborde, allons à Lens.
À Vierzon et Vesoul, j’ai réussi ce pari — vous y êtes déjà allé, vous? —, et au Creusot aussi. Le fait que parfois on me prenait pour un VRP (voyageur et représentant de commerce) qui aurait besoin d’une facturette en témoigne. À Nevers et Chalon-sur-Saône, un peu moins — encore qu’on y est plus habitué aux touristes qui passent la nuit entre deux longs trajets qu’à ceux qui viennent pour visiter. À Bourges (sa cathédrale), Paray-le-Monial (sa basilique), Tournus (son église abbatiale), Besançon et Langres (leurs sites et leurs remparts), je pense pas. Certes, aucune de ces villes n’est un haut-lieu, mais l’inclinaison du voyageur que je suis me conduisait à y fréquenter les lieux les plus touristiques. Comme une bille qu’on fait rouler dans une assiette creuse, mes chemins m’amènaient et me ramènaient vers les monuments et les vieux quartiers, pas vers les périphéries. Pour être vraiment dans la France quotidienne, j’aurais dû choisir Montchanin — qui pour moi n’était que cette gare de correspondance, avant et après Le Creusot — ou Venarey-les-Laumes, par exemple.
Je ne vais pas reprendre ici une sorte de Défense et illustration (et critique) des chemins de fer français en général, et des TER en particulier, que j’ai déjà réalisée en 2019. Les avis alors exprimés se sont confirmés en 2022: les TER et les gares qu’ils desservent sont excellents (mais un peu trop rares, selon les endroits). Les TGV, victimes de leur succès, le sont moins. [Pour mon voyage, j’ai pris 19 trains, dont un seul avait un problème: le Thalys de Paris à Anvers. La clim ne marchait pas.]
Je me limite à quelques informations, appréciations et conseils de nature touristique.
- Tout d’abord, il y a les églises et les cathédrales, grands fournisseurs de patrimoine et de lieux touristiques: Bourges, Nevers, Chalon-sur-Saône, Besançon et Langres pour les cathédrales; Paray-le-Monial et Tournus pour les basiliques; et les “simples” églises Notre-Dame à Vierzon, Saint-Étienne à Nevers, La Madeleine à Tournus (fermée car menaçant ruine), Saint-Georges à Vesoul. Les églises les moins parfaites sont parfois les plus belles. Je pense à celles de Nevers.
[La cathédrale de Nevers, très endommagée pendant la guerre, comprend quelques vitraux modernes très réussis, notamment ceux de Raoul Ubrac et de Gottfried Honegger et Jean Mauret. Celle de Bourges possède des vitraux très anciens (début du XIIIème siècles, pour certains). Quant au clocher de Vierzon, il m’a fait penser au Cri d’Edvard Munch.]
La cathédrale Saint-Étienne à Bourges
Vierzon, ou Le Cri d’Edvard Munch en pierre
- Des ouvrages militaires à Nevers, Besançon et Langres. La promenade des remparts de Langres est une figure imposée.
- Deux musées d’art et d’archéologie, à Besançon et Langres. Très riches tous les deux. Une saine émulation.
- Deux, voire trois musées de l’industrie, à Vierzon, dans les anciens ateliers de la Société Française Vierzon, qui était spécialisée dans le machinisme agricole, et au Creusot, dans le château de la Verrerie — le troisième est le Pavillon de l’Industrie, dans le même château, moins musée que pavillon publicitaire.
Les musées à Vierzon et au Creusot comprennent de superbes modèles réduits de locomotives à vapeur (échelle 1/10?), construits par des ouvriers des chemins de fer. Il est passionant de constater que ces modèles réduits ne sont pas toujours fidèles à la réalité. Partant de leurs connaissances techniques et de l’expérience qu’ils avaient des machines, ces ouvriers ont choisi d’apporter des améliorations que les modèles originaux n’ont pas (encore).
À Vierzon, l’homme à l’accueil du musée était un passionné des collections, qui aimait en parler, et au Creusot nous étions quelques visiteurs à discuter des locomotives et à essayer de comprendre leur fonctionnement: comment faisait-on pour faire fonctionner de façon coordonnée une Garratt-double Pacific 231-132T?
Exposition permanente de maquettes de locomotives dans l’écomusée du Creusot.
- Au Creusot également, le Petit Théâtre aménagé dans un ancien four de fusion de verre — une curiosité.
- Un musée de la photographie: le Musée Nicéphore Niepce à Chalon-sur-Saône, ville où il est né.
- Deux “musées” surprenants à Paray-le-Monial: le Musée eucharistique du Hiéron et la (petite) Maison (pas vraiment musée) de la Mosaïque.
- Deux musées où j’ai trouvé porte close — faute à mon agenda: le Musée du carrelage céramique Paul Charnoz à Paray-le-Monial et le Musée du Temps à Besançon — ce dernier s’est ouvert au jour où je quittais la ville.
Et des musées où je ne me suis pas rendu, “faute de temps” ou préférant d’autres occupations. Je n’ai pas visité la Maison des Lumières Denis Diderot à Langres ni l’Espace Bernadette Soubirous à Nevers. [Aviez-vous jamais associé Bernadette Soubirous à la ville deNevers? Moi non. Plutôt Bérégovoy.] - Une librairie, étonnante par sa taille et son offre, à Vierzon — mais la FNAC de Bourges a quitté la ville pour s’implanter au centre commercial Carrefour dans les marais en périphérie.
- Un beau “fleuve” — d’accord, c’est une “rivière” — à Chalon-sur-Saône, avec ses quais, sa promenade et son île Saint-Laurent. [Quand j’ai loué l’élégance de la ville de Chalon, l’hôtelier doit avoir cru que je me moquais de lui. Il est parisien et ne s’en cache pas.]
Mais il n’y a pas que la Saône — ou la Loire, comme à Nevers —, il y a de l’eau un peu partout. Sauf à Langres.
[À Vierzon, où se rencontrent le Canal de Berry, le Cher et l’Yèvre, le canal est comblé sur 500 mètres en centre ville . “Mon” hôtel, le seul en ville, était planté sur ce comblement, et se vantait de la vue, qu’il n’offrait qu’à peine.] - Des parcs, des places et des squares, et le goût de la solennité dans les aménagements.
- Des vieux quartiers. Même à Vierzon et Vesoul.
- Et des gares, bien sûr. Parfaitement implantées, comme à Nevers et Chalon-sur-Saône. Un peu plus difficile d’accès, comme à Vierzon, Bourges et Besançon. Posées à l’écart, dans une impasse, comme à Paray-le-Monial et au Creusot, ou sur une route passante, à Tournus et Vesoul. Voire en dehors et en bas de la ville, à Langres.
- Sans oublier un phénomène d’optique assez étonnant dans un des nombreux tunnels ferroviaires en Bourgogne — ne me demandez pas où. Pour éclairer le tunnel (en vue de travaux?) la SNCF doit avoir suspendu des rubans à leds qui formaient comme des vagues contre la paroi, presque des sinusoïdes très étalées. Les leds sont certes alimentées en courant continu, de faible tension, mais ce courant, cette tension est créée en redressant un courant alternatif, c’est-à-dire avec 50, ou plutôt 100 pulsions par seconde. Le résultat en est que les leds, qui à nos yeux sont constantes, en réalité clignotent. Le voyageur, par la fenêtre du train, ne voyait pas une ligne ondulée qui se déplace, mais une succession régulière de lignes ondulées, chaque ligne correspondant à une pulsion, que la rétine des yeux conservait plus longtemps que sa brève existence. C’était presque féerique.
La ville de Nevers vous aide volontiers à prendre des photos le dos tourné à l’église Saint-Étienne et ses chapelles rayonnantes (XIème siècle).
bibelots et couvre-lits (où je fais grand retour en arrière, les années 80)
Il y a vingt, peut-être vingt-cinq ans, je prenais la décision — étonnante — de ne plus passer mes vacances en France. En tous cas pour quelque temps. J’avais visité de nombreuses villes et régions — sauf la Bretagne et la Corse. J’avais vécu et travaillé en region parisienne et à Niort, et je vivais à Lille. Avec la belle-famille et les amis, je m’étais senti chez moi quand j’étais dans leurs pays. Mon oreille était branchée sur France Inter — Pierre Desproges, ou l’Oreille en coin — et mes yeux sur Antenne 2, et je lisais Le Canard, Le Monde et Libé, et la presse régionale — qui recevait de moi des courriers de lecteur et des poissons d’avril. À Niort comme ensuite à Lille, le boulot m’avait mis sur la route, découvrant tant des régions touristiques que des lieux inconnus. L’île d’Oléron, le Marais Poitevin ou le Val Joly. Sauzé-Vaussais, Hautmont ou Pecquencourt. Surtout la période niortaise, où je travaillais dans l’amélioration de l’habitat, d’abord en ville et puis dans les campagnes, m’avait rapproché des français. “Tu découvriras la France profonde” m’avait annoncé un collègue — parisien. Plusieurs fois par semaine je partais en voiture à travers les campagnes légèrement vallonnées et surtout faiblement peuplées à la rencontre des villages et des maisons dont les couleurs lumineuses se confondent avec celles des pierres et des sols, ou qui se cachent parmi les bocages. Je tenais des permanences dans les mairies et les centres sociaux, de préférence les jours de marché, je visitais des maisons et rencontrais leurs habitants — ou parfois leurs propriétaires, ainsi que les élus des villages. Les midis, je déjeunais à la façon d’un VRP ou d’un marchand de bestiaux. Je pouvais avoir la malchance que tel restaurant, le seul du village, offrait tous les vendredi que je m’y rendais le même plat, ou au contraire le plaisir que dans tel autre, les jours de marché, tous les clients se glissaient les uns après les autres aux mêmes tables. Quand la table était complète, la soupe arrivait, puis l’entrée, et ainsi de suite. Les mercredi, si j’en avais l’opportunité, je prenais une demi-heure après le restau pour m’installer en toute tranquillité à l’orée d’un bois et lire mon Canard. Il faut se rendre compte que pour conseiller l’habitant (ou plus souvent l’habitante) d’une vieille maison, pour qu’il ou elle puisse la rénover, et pour l’aider à instruire son dossier, le chargé d’opération — nom officiel du métier — doit tout savoir. Il doit visiter la maison de fond en comble — la cuisine, les sanitaires, la chambre à coucher — et il doit réclamer aux gens plusieurs documents privés, tels un avis d’imposition et une fiche d’état civil. Par cette combinaison d’informations sur la personne et sur son logement, le métier de chargé d’opération en amélioration de l’habitat doit être parmi les plus intrusifs qui existent. Je me suis parfois demandé si les années où je travaillais dans le Pays Mellois, je n’étais pas celui qui dans toute cette région avait vu le plus de cuisines, le plus de coins toilette et le plus de chambres à coucher de l’intérieur. Qui finissait par savoir de tous ces gens qui on est, d’où on vient, combien on gagne et comment on vit. Avec quels chiffons et serviettes, quels bibelots et couvre-lits. Heureusement pour les gens — et pour moi — l’immense majorité de ces informations intimes se transformaient rapidement en données abstraites, nécessaires pour un “dossier”. Les rapports humains étaient — sauf exception — très agréables, parfois même d’amitié (sans que cela dût nuire à l’approche professionnelle). Parfois on blaguait des “accents” réciproques, car mon accent belge n’était pas le seul qui surprend. Dans le Poitou aussi, on parle bizarrement. [Parfois, j’avais l’impression d’entendre… du québecois.]
Me revient d’avoir admiré l’architecture et la construction vernaculaires des maisons picto-charentaises et d’en avoir compris la logique — je suis toujours fier des pages que j’ai écrites à ce sujet, dans un dossier qui n’avait d’autre vocation que d’être rangé dans le placard d’une administration afin de justifier une subvention.
Me revient d’avoir été surpris que partout dans ces campagnes on voyait des laiteries dont les noms ornent les fromages de chèvre vendus dans la France entière et au-delà, sans qu’il y ait la moindre chèvre dans les prés.
Me revient le contraste entre un vieux bourg fier de sa gare et ses trains pour Paris, de tous ses monuments, de sa rivière et de sa Rosière, et sa voisine moderne avec son immense marché aux bestiaux. Les uns croulent sous leur histoire, et se considèrent les vrais seigneurs du pays, les autres s’ouvrent à toutes les innovations, et introduisent l’informatique dans l’élevage en pleines années 80.
Me reviennent les tombes des protestants, placés dans un coin des jardins.
Me revient la lecture du Journal de Jean-Migault (1644-1706), et du témoignage de Roger Thibault, “Mon Village, 1848-1914”.
Me revient le châtelain, maire de la petite commune dont il porte le nom et propriétaire de sa mairie, qui avait attiré une grosse entreprise, et mariait son fils un 18 juin — la belle du 18 juin, disions-nous.
Me revient cet homme qui n’avait accepté d’être maire de sa commune que sous l’impulsion de son épouse, secrétaire de mairie.
Me revient la route de contournement qui doit avoir coûte plus cher que le hameau qu’il contournait.
Me revient d’avoir été choqué, quand-même, quand je constatais que telle ou telle personne âgée, menant une vie modeste, avait été plumée par ses (beaux-)enfants. À travers une donation — on évite les droits de succession — complétée d’un trop simple usufruit.
Ayant bénéficié de ce “bain de France”, il ne me surprend pas, a posteriori, que j’étais saturé. Car après tout, les villages, et surtout leurs chefs-lieu-de-canton se ressemblent. Ils ont tous la même mairie, ils avaient tous les mêmes bureaux de poste — l’ont-ils encore? —, les mêmes agences du Crédit agicole, les mêmes écoles, les mêmes boulangeries vendant les mêmes baguettes, et les mêmes bars-tabac-presse — dont la moitié s’appelle la Civette. On y voit les mêmes plaques de notaire sur les mêmes maisons cossues, et les mêmes monuments aux morts. Et à la sortie du bourg ils ont tous le même Intermarché — avec station service — à la fois menace et nécessité pour la (sur)vie du village. On dit que les centres commerciaux se ressemblent, mais qu’en est-il des villages?
Ajoutons que cette période a vu se développer la France des ronds-points et des boîtes-à-chaussures. Alors que les centres des des chef-lieux de département ou d’arrondissement — les Préfectures et Sous-Préfectures — ou de toutes villes un peu importantes se rétrécissaient, se ripolinaient et se piétonnisaient, à leurs abords se constituait une croûte de zones d’activités, mais surtout de commerces et de parkings, dont les noms mariaient le sigle ZAC, claquant comme un fouet, aux douces toponymies locales issues des cadastres et des vieux chemins. Reprocherait-on aux habitants de ces villes et des campagnes environnantes de vouloir acheter les mêmes objets que ceux des grandes villes? Pour quelqu’un comme moi, touriste en voiture alors, aimant les paysages mais aussi les villes et villages, l’attrait du pays en souffrait. J’avais tout vu et j’irais voir ailleurs.
Ça n’a pas duré, pourtant, cette abstinence. Quelques années plus tard, fut-ce l’évolution de mon métier, qui petit-à-petit me coupait du pays? [Je n’oublie pourtant pas que la coopération transfrontalière, à son tour, m’a permis de découvrir, non plus les hameaux du Poitou mais toutes les villes et régions frontalières de France, et parfois d’ailleurs, et d’y nouer des amitiés trop mal entretenues.] Ou fut-ce le choix paradoxal, je reconnais, d’une part de prendre la nationalité française et d’autre part de brancher ma radio sur Bruxelles — Klara — et de lire tant les journaux belges que français, wallons que flamands? Car à travers d’autres vacances, en Bourgogne comme dans le Midi, en Normandie comme à Marseille, à travers des trajets en vélo sur les chemins de halage — c’est plat et ça me plait — j’ai repris le goût du pays. Les voyages ferroviaires de 2019, peu avant mon installation en Belgique, et de cette année, qui me mènent de ville en ville, en sont un point culminant. Je découvre et redécouvre comment dans ce pays tout n’est pas égal mais au contraire différent. Les villes et villages de France sont, comme en musique, les variations sur un thème. Et ce thème est joli. Il chante. Quant à arriver par le train dans une ville que je ne connais pas et que je découvre en marchant, cela me plaira toujours. Aucun automobiliste (même aidé par GPS), stressé à trouver son chemin et une place de parking, ne goûtera de ce plaisir.
Et puis, je n’ai jamais mis le pied à Grenoble ou Chambéry, à Macon, Valence ou Vienne, à Beauvais ou Chartres (!), à Mende, Tulle ou Ussel.