Jef Van Staeyen

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non, le covid-19 ne nous contraint pas à choisir entre la santé et l’économie

…mais il nous oblige à choisir de façon collective et raisonnée entre santé + économie + société,  et déclin général des conditions de vie individuelles et collectives.

 

La lutte contre la pandémie due au coronavirus est souvent présentée comme un choix entre santé et économie. Même les gouvernements et les commentateurs dans les médias raisonnent dans ces termes. Le 28 octobre, le journal Le Monde a publié un article “Covid-19 : au printemps, chaque vie sauvée aurait « coûté » 6 millions d’euros”, qui fait référence à une étude réalisée par l’économiste Patrick Artus, directeur de la recherche au sein de la banque Natixis. “Au printemps, les deux mois de confinement ont provoqué un plongeon de l’activité de 10 %. « Un mois de confinement strict coûte, à court terme, 5 points de produit intérieur brut (PIB) », détaille-t-il, évaluant le dommage à long terme à 2,5 points. S’appuyant sur les données des épidémiologistes, M. Artus estime le nombre de vies sauvées à environ 20 000 par mois. « Un point de PIB représentant 24 milliards d’euros, ça fait très cher la vie », résume-t-il, chiffrant celle-ci à environ 6 millions d’euros. Soit bien plus que l’estimation de la valeur ajoutée d’un travailleur tout au long de sa carrière.” Dans d’autres contextes (projets d’infrastructures), on estime fréquemment qu’une dépense d’un million d’euros est justifiée pour sauver une vie humaine.

Patrick Artus aurait pu aller plus loin dans son raisonnement, arguant que la mort de ces deux fois 20 000 personnes, perdant chacune dix ans d’espérance de vie (une estimation britannique, celle-là), aurait pu faire des économies substantielles à la sécurité sociale (retraites et soins médicaux, pour des personnes le plus souvent âgées), augmenter le rendement des droits de succession (un bénéfice pour l’État), et transférer des patrimoines financiers et immobiliers des générations (très) vieilles vers celles moins vieilles, qui les auraient mieux valorisés.

Sauf que, Patrick Artus et pleins d’autres avec lui, oublient un terme dans la comparaison qu’ils établissent. Ils comparent la situation vécue (covid-19 + confinement) avec une situation hypothétique sans confinement, mais aussi sans covid-19. Ils raisonnent comme ci seul le confinement ait causé des dégâts économiques, et que le virus lui-même soit économiquement inoffensif.

Étonnons-nous d’abord des seuls deux fois 20 000 morts, pour une épidémie dont les effets doublent tous les quinze jours, et qui de toute façon ne se serait pas éteinte au troisième mois. Aux 20 000 morts du premier mois, peut-être faudrait-il en ajouter bien plus que 20 000 pour le deuxième, et d’autres dizaines de milliers pour les troisième, quatrième, etc. jusqu’à l’épuisement du stock de victimes potentielles… Les confinements de mars et avril ont également sauvé des vies aux mois de mai, juin, juillet, etc., etc. Et sans doute jusqu’à maintenant, en novembre.

Interrogeons-nous ensuite sur la façon dont on aurait géré les flux croissants de malades, dépassant largement les capacités du système médical (hôpitaux, cliniques, médecine de ville, etc.). Quel tri aurait-on fait, aux portes des hôpitaux comme à celles des cabinets de médecins, entre les malades covid-19, et entre ceux-ci et ceux souffrant d’une autre maladie ou blessure (cœur, foie, cancer, accident…). Qui aurait-on refusé, pourquoi et comment? Quelles scènes, quelles réactions, quelles révoltes cela aurait-il provoquées?

Mais surtout, n’oublions-pas que le covid-19 ne cause pas que des décès, mais aussi des maladies graves plus ou moins longues, et, parmi les survivants, des handicaps physiques et psychiques pérennes. Comment le système économique aurait-il réagi à l’absence plus ou moins longue de ses acteurs, ses travailleurs, ses consommateurs, ses investisseurs? La maladie, n’aurait-elle touché que les vieux, les inactifs, ou aurait-elle produit des coupes claires dans la masse des travailleurs, déréglant les usines, les ateliers, les chantiers et les services? Combien de temps aurait-il fallu pour réussir les remplacements? Combien de commandes et de missions aurait-on dû refuser? Quels produits et quels services, privés et publics, seraient devenues indisponibles? Quel aurait été l’impact psychologique sur une population qui voit ses proches souffrir et mourir, et qui craint pour sa vie à chaque instant? Les consommateurs, auraient-ils continué à consommer comme si de rien n’était (ou même intensifié une frénésie — après nous le déluge)?  Les dégâts économiques ainsi causés, se seraient-ils limités à un petit 2,5%? Rien n’est moins sûr. Ils pourraient être bien plus grands. Il fallait sauver la santé, pour sauver l’économie. Et la cohésion sociale.

Tout ça ne veut pas dire qu’il n’y ait pas d’arbitrages à faire. Bien au contraire.Le choix des restrictions est une décision imminemment politique. Certes, il y a quelques domaines où les probabilités de contaminations sont particulièrement élevées, mais fermer ou restreinde celles-là ne suffit pas pour lutter contre l’épidémie. Il sera toujours nécessaire d’agir dans d’autres domaines, même si des mesures de distanciation et de protection y sont déjà prises. C’est là que se posent des questions relatives aux priorités économiques, sociétales et culturelles, et comment lutter contre les effets induits. Mais ce n’est jamais un choix entre économie (ou société, ou culture) et santé.

 

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