“Écrire sans trembler” publia Le Monde des Livres vingt-six paroles d’écrivains (¹). Vingt-six textes en réplique aux attentats meurtriers du 13 novembre à Paris.
Belles et pertinentes (²), parfois divergentes.

Leur lecture, mardi soir dans le bus, cumulée avec toutes celles des jours précédents, souvent portées sur les symboles — “qu’est-ce qu’on attaque?” comme si ce n’était pas des gens en chair et os —, et sur le sens — mais est-il sensé de chercher un sens à ce qui n’en a pas? à vouloir comprendre un langage qui n’est que sang? — m’a créé comme un mal-aise. Auquel s’ajouta l’écho des réactions lointaines, que la presse nous relayait. Nous apprenions que le monde entier — ou presque —, par ses gestes, ses paroles, ses titres dans les journaux, ses couleurs rouges et bleues, était avec Paris. Un Paris réel? Ou un Paris symbole, qui se dresse en miroir à celui qui écrit? Réceptacle d’idéaux, de fantasmes et de frustrations.

Lisant, relisant ces textes, je me demandai si ce Paris là n’appartenait pas davantage au monde — à cette partie du monde qui écrit dans les livres et les revues, qui monte sur les planches et se met sous les projecteurs — qu’elle n’appartient à son propre pays. Je m’inquiétai de la perception de ce Paris là, de ce Paris célébré, dans les villages, les quartiers, les faubourgs.
Les événements, mais surtout l’ampleur et la nature de toutes ces réactions — “c’est mon Paris qu’on a voulu tuer” —, n’allaient-ils pas élargir une fracture déjà béante au sein du pays? La fracture avec tous les oubliés, qui vivent hors des textes (³) — sauf quand un père ou une mère tue ses propres enfants et met le feu à sa maison. “Drame familial à… On ne comprend pas”. La fracture qui rend inaudibles les souffrances et le désespoir. La fracture sans réponse. La fracture — enfin — qui se double du fossé entre le discours et les actes, entre les symboles, flonflons et tricolores de liberté, d’égalite et de fraternité, et le mépris de ces mêmes valeurs dans les politiques intérieure et extérieure du pays.

C’est chargé de ces pensées que le soir, je trouvai un bref article dans Libération — sur le web. Lisez-le: >La France n’est pas une terrasse, par Bérengère Parmentier, maître de conférences en littérature à l’université d’Aix-Marseille. Ne vous arrêtez pas à la photo qui l’accompagne, qui changera sans doute encore souvent. Mais suivez peut-être le lien qui se trouve à l’intérieur.

(¹) édition datée du 20 novembre 2015.
Le Monde publie aussi, vous l’avez vu, >les portraits des victimes des attentats, “pour qu’elles ne nous quittent plus”.

(²“percutantes”, allais-je écrire. Notre langage même, comme des balles et des bombes, n’est-il pas déjà trop violent? Même en dehors des stades, où l’on écrase les adversaires sportifs. Quels mots reste-t-il, quand on gaspille, dévalue les mots extrêmes?  “Nous sommes en guerre” a déclaré le président.

(³) Il y a des exceptions. >Quai de Ouistreham, Florence Aubenas.