Dans son édition du mardi 9 février, >La Voix du Nord rendait compte de l’action du Collectif d’usager-e-s Transpole, qui plaide pour la gratuité des transports publics les jours de forte pollution aérienne.
Cette proposition est une mauvaise idée.
La lutte contre les pics de pollution ne se gagne qu’en réduisant la pollution de fond, celle qui nous gâche la vie et la santé tous les jours. Or cette pollution ne peut être réduite qu’en rétablissant la sincérité — ou, pour le moins, la proportionnalité — des prix de tous les modes de déplacement, prenant en compte les coûts individuels, collectifs, sociaux et environnementaux. Aujourd’hui, tous les modes de déplacement mécaniques sont de fait subventionnés, car leurs utilisateurs ne paient pas ces coûts. Dans une politique raisonnable de la mobilité, les modes les moins chers sont la marche et le vélo, suivis par les transports publics — dont la gratuité généralisée (réclamée par certains) ne se justifie pas. Les plus chers sont l’automobile (et tout ce qui lui ressemble) et l’avion. Le rétablissement de la réalité des prix pourra réduire la pollution de fond et, ce faisant, le nombre et l’intensité des pics de pollution.
Trois précisions:
1. À la différence d’autres groupes citoyens, le >Collectif d’usager-e-s Transpole ne plaide pas pour une gratuité généralisée, mais uniquement pour une gratuité lors des pics de pollution — et pour une modération des prix.
2. La lutte contre les pics de pollution interroge aussi l’aménagement de la ville, aujourd’hui pensé pour les voitures, et contre la marche et le vélo. Ce n’est pas le moindre des coûts sociaux de l’automobile, que de contraindre, voire de rendre impossibles la marche et la pratique du vélo, par l’allongement des distances et l’inconfort et l’insécurité des parcours.
3. La sincérité des prix ne doit empêcher la mise en place de correctifs sociaux, facilitant l’accès de tous au système de mobilité.
Alors, pourquoi pas la gratuité lors des pics de pollution?
Déjà en temps normal, les transports publics sont bondés. [Ils sont même beaucoup plus bondés que les autoroutes, sur lesquelles, même par temps de bouchon, il reste de très nombreuses places assises non occupées!]
Malgré la fraude dont on nous parle souvent, l’immense majorité des voyageurs paient leur place (soit une partie des coûts).
Offrir la gratuité des transports publics les jours de pic de pollution aura plusieurs inconvénients majeurs:
- Par l’afflux de voyageurs supplémentaires, elle dégradera les vitesses dites commerciales. [C’est un cercle vicieux qui se mettra en place, bien connu des habitués: plus de voyageurs égale plus de temps passé aux arrêts, égale réduction des vitesses, égale baisse des fréquences et hausse des temps d’attente, égale réduction de la capacité globale de la ligne et… augmentation du nombre de voyageurs qui attendent aux arrêts…]
- Elle conduira les utilisateurs occasionnels, attirés par la gratuité (ou poussés par la contrainte), à découvrir un moyen de transport saturé, inconfortable, dysfonctionnant. Ils ne reviendront pas le lendemain et retourneront vers leurs voitures. Ils seront perdus pour toujours.
- Elle pénalisera les voyageurs habituels, même dans le cas (parfois suggéré) où ils voient leurs abonnements remboursés en partie.
- Elle privera les exploitants (qui doivent doubler leurs efforts les jours de pollution) et les autorités organisatrices des transports des moyens financiers nécessaires pour faire fonctionner leurs réseaux en temps normal et en augmenter l’efficacité et l’attractivité.
Tel est le paradoxe de la proposition portée par le Collectif d’usager-e-s Transpole (comme par d’autres acteurs): alors que la pollution de fond et les pics sont surtout dus aux transports mécaniques individuels, les solutions apportées visent à pénaliser (voire punir) les habitués des transports collectifs.
L’alternance pair-impair pour les voitures étant une mauvaise idée aussi (car elle encouragera la possession de plusieurs voitures par ménage, et intensifiera les problèmes de stationnement résidentiel), la meilleure solution pour les jours de pic de pollution demeure l’augmentation de l’offre de transports publics (même en utilisant des bus plus anciens et plus polluants, mais surtout en augmentant les vitesses de circulation sur des couloirs réservés), et celle du nombre de voyageurs dans les voitures, sans oublier le report de déplacements.
Les automobilistes nous le montrent: le succès des transports publics se construira sur leur qualité, bien plus que sur leur gratuité.