Juin 2014, nous apprenions que le Crédit coopératif — la banque de l’économie sociale et de la finance solidaire — avait accordé fin 2012 un prêt de cinq millions d’euros au parti politique Union pour un Mouvement Populaire, l’UMP (>Libération, 13 juin 2014). Ce faisant, le Crédit coopératif avait accompagné la Société générale (24M€), la BNP Paribas (15M€) et la BRED Banque populaire (11M€). Ensemble, il s’agissait de 55 millions d’euros, une somme pour laquelle l’UMP avait nanti (hypothéqué) son siège dans la rue de Vaugirard. Ce prêt devait être remboursé pour mars 2017. Nous ne savons pas si tel a été le cas, la presse n’en parle plus. (Peu importe. Là n’est pas la question.)

En réponse à un courriel le 15 juin 2014, dans lequel j’exprimais mon étonnement quant à la destination de ce prêt (un parti politique), le Président et la Vice-présidente du Crédit coopératif m’écrivaient:

  • que le Crédit Coopératif est tenu, par la loi, au secret bancaire, lui interdisant de révéler les noms de ses clients ainsi que toute autre information les concernant.
  • [que] la vocation du Crédit coopératif est de concourir, par la fourniture de différents produits et services bancaires (…), au développement des personnes morales qui composent l’économie sociale. Coopératives, associations, organisations à but non lucratif, elles œuvrent dans les domaines tels que la culture, la santé, le logement social, l’insertion mais aussi le bio, le commerce équitable ou les énergies renouvelables, ou encore les organismes de la vie démocratique (partis politiques, comités d’entreprise et syndicats), les associations cultuelles, les organismes de réflexion et de diffusion d’idées.

C’est-à-dire, bien que ses campagnes publicitaires, sa documentation et son site web sont d’une pudeur absolue à ce sujet, le Crédit coopératif considère que les partis politiques font partie de l’économie sociale. Ou comment on trompe les sociétaires par ommission.

On aurait pensé qu’une seule erreur, un seul écart eût suffi. Peut-être le Crédit coopératif voulut-il équilibrer les comptes — un pas de travers à droite, un autre à gauche. Ce 28 septembre (2017), >Le Monde nous apprend que le PS a hypothèqué son siège (le célèbre Solférino) en caution d’un prêt de huit millions d’euros contracté auprès du Crédit coopératif.
Le prêt de 2012 à l’UMP, accordé au mois d’août, était successif à une déroute électorale (aux présidentielles comme aux législatives). Celui de 2017 au PS, dont on ignore pour l’instant la date, semble avoir été antérieur aux élections (qui, elles aussi, se sont traduites par une défaite, plus cinglante encore).

Les partis politiques de France bénéficient de financements publics. C’est une bonne chose. Ces financements sont élevés. Ce qui questionne. Et immédiatement liés aux résultats aux élections, sans aucune forme de pondération. Ce qui pose problème. De ce fait, les élections sont devenues d’immenses paris financiers : on emprunte pour jouer, ramasse les mises quand on gagne, ou pleure misère quand on perd. La démocratie comme champ de courses, avec des parieurs endettés. Et avec un Crédit coopératif — banque de l’économie sociale et de la finance solidaire — qui prête aux joueurs et aux perdants.
Certes, ce Crédit coopératif ne va pas tomber pour autant. Il sera remboursé. Et les partis politiques lui seront reconnaissants pour son soutien. Mais l’argent qu’il collecte auprès de ses sociétaires coopérants, “tous banquiers” comme l’affirment ses publicités, ne devrait pas servir à ça.
En tous cas, le Crédit coopératif tait soigneusement ce type d’affectation.

 

complément au 10 décembre 2017

À nouveau en réponse à un courriel (du 13 octobre), le Crédit coopératif m’a écrit le 7 novembre (c’est moi qui met en italique une phrase):

Le Crédit Coopératif a acquis une notoriété certaine auprès des partis politiques pour la bonne qualité de ses prestations en matière de comptes de campagne. Les interventions de notre établissement auprès des partis politiques se limitent à l’avance en trésorerie de la subvention publique et à des financements ordinaires concernant l’acquisition de biens mobiliers ou immobiliers. Pour le Crédit Coopératif, cette activité s’intègre dans une logique proche de l’accompagnement des associations et des organismes au service de l’intérêt général, auquel les partis politiques participent comme composante essentielle de notre démocratie. Nous n’intervenons pas auprès des partis qui ne sont pas en accord avec les principes de Responsabilité Sociétale d’Entreprise du Crédit Coopératif.

Le Crédit coopératif indique donc trois motivations possibles pour un prêt [au Parti socialiste, dans ce cas]. Dans le désordre:

  1. l’acquisition de biens immobiliers. Or, le Parti socialiste n’achète pas, mais vend son patrimoine, à Paris et ailleurs.
  2. l’acquisition de biens mobiliers. La somme de 7 ou 8 millions d’euros, mentionnée par la presse, est très élevée pour acquérir des biens mobiliers, tels des voitures, ordinateurs, logiciels, etc.
  3. l’avance en trésorerie de la subvention publique. Or, et ceci est important, la subvention publique pour l’année en cours est versée dès le mois de février, en fonction des résultats de l’année précédente. La subvention versée en février 2017, calculée alors sur les résultats électoraux précédents, était destinée à l’année s’achevant au 31 décembre 2017. Il n’y a donc pas, ou à peine, de besoin d’une avance en trésorerie.

Le financement que le Crédit coopératif a accordé au Parti socialiste (comme précédemment à l’UMP) résulte des mauvais calculs que ce parti a faits, pariant sur les élections à venir, pariant sur les subventions à venir. Ce comportement ne diffère pas de celui du parieur qui s’endette pour jouer aux courses, ou sur les matches de football. Les grands partis qui ont gouverné le pays et qui prétendent le gouverner dans l’avenir se sont montrés incapables de gérer correctement leurs propres budgets.