Jef Van Staeyen

Étiquette : architecture & urbanisme (Page 2 of 11)

un urbaniste ne devrait pas dire ça: éloge d’un supermarché

 

Maintenant que j’ai quitté Lille — depuis deux ans déjà —, et que je ne suis plus urbaniste à la MEL (la Métropole Européenne de Lille), je peux vous l’avouer: j’aimais bien aller au supermarché. Surtout celui du Pré Catelan à La Madeleine.

Dans le milieu des urbanistes, les supermarchés, c’est le mal absolu. Pour plusieurs raisons. D’abord pour des raisons de fonctionnement urbain: installés le plus souvent en bordure des villes, bénéficiant de larges accès routiers et de vastes parkings qui détruisent les terres agricoles, ils attirent les chalands qui désertent les commerces de proximité et de centre ville, et qui préfèrent payer sous forme de kilomètres-automobiles les euros qu’ils pensent économiser en prix des produits achetés, parfois en surnombre. Pour des raisons de fonctionnement économique ensuite: les supermarchés et leurs grands frères hypers étant constitués en puissants groupes de distribution, ils sont capables de faire le bonheur et, plus souvent, le malheur des producteurs grands et petits. Ces derniers n’ont d’autres choix que de se plier aux exigences des groupes, ou de devenir grands à leur tour, se fondant dans des ensembles où ils perdent leur identité, leur autonomie et leur capacité d’agir. Pour des raisons de fonctionnement humain enfin: les personnels des magasins, avec qui comme clients on pense si bien s’entendre, étant interchangeables aux yeux des patrons.
Aux dysfonctionnements urbains, les groupes de distribution ont quelque-peu répondu, en inventant et développant sur les villes des supermarchés et superettes de quartier, davantage accessibles à pied et en vélo qu’en voiture. Et certaines villes ont poussé les hypers à revenir dans les centres, avec plus ou moins de succès. Mais les dysfonctionnements économiques et humains demeurent, et les grands projets en périphérie des villes n’ont pas été abandonnés.

N’empêche.
Péché mignon? J’ai fréquenté plusieurs supermarchés, en fidélités successives comme on dit, dans la rue du Bourg à Lambersart, aux Conquérants de la même commune, et enfin au Pré Catelan à La Madeleine. Avec quelques infidélités rue de Paris. Y rencontré année après année (souvent) les mêmes vendeurs, vendeuses, caissières et caissiers. Et acheté à ma satisfaction poissons et fromages, bières, vins et lait, œufs et café, brandade et quenelles. Un certain temps, mes achats hebdomadaires étaient si réguliers qu’il me suffisait de jeter un œil sur le contenu de mon chariot pour estimer, à 5 % près, le prix que j’allais payer en caisse. Je regardais l’éventuel achat de vins ou de café et le prix du fromage, pour pousser mon estimation vers le haut ou le bas.

Et puis, un jour, j’ai décidé d’acheter un cabas sur roulettes et de laisser ma voiture chez moi, pour faire à pied les 1,4 km qui séparaient mon appartement du supermarché. [Rassurez-vous, ça semble beaucoup, deux fois 1400 mètres, mais quand on les fait c’est facile.] Il est vrai que les enfants avaient quitté la maison (où ils habitaient à temps partiels), et que j’avais remplacé l’eau en bouteille par celle du robinet. Ça facilite beaucoup les choses. [L’eau en bouteille et… l’essence étant les principales raisons pour prendre sa voiture quand on fait ses courses.] Aussi, le supermarché en question avait pour ses clients de ces paniers sur roulettes très maniables, auxquels on accroche son propres cabas. Les manœuvres dans les rayons du magasin en devenaient aussi faciles qu’elles sont difficiles avec les grands chariots.

Mes voisins, sachant que j’avais une grosse voiture, se sont étonnés de mon comportement, et pour certains me l’ont dit. Il est vrai qu’en France encore plus qu’ailleurs, se promener avec un cabas à roulettes est un signe de pauvreté. Surtout si l’on sort de son quartier pour suivre des voies à dominante automobile, ce qui était mon cas sur le pont Churchill qui surplombe le périph, entre mon Vieux Lille et La Madeleine. Dans ce pays, ne va à pied avec un cabas que celui — surtout celle — qui n’a pas de voiture, ou dont la voiture est utilisée par le mari, et qui ne peut ou veut se payer le bus.

 

pastèque

Mais où est donc cet éloge? me dites-vous.
Eh bien, en plus du Maroiles et du Vacherin Mont d’Or, des Spätzli et de la Potjevleesch, de la limande ou de la brandade (je radote pour la brandade — goûtez et vous comprendrez), et de la Ch’ti d’chez Castelain, ce qui me plaisait c’était les gens. [Remarquez en passant, qu’ayant une clientèle internationale et interrégionale, ce supermarché était plutôt bien achalandé: la Flandre comme l’Alsace ou la Provence, le Mexique comme le Maghreb.]
Aussi étonnant que ça puisse sembler, les supermarchés favorisent les conversations. Bien qu’ils installent des caisses dites automatiques, avec des self-scan où l’on est moins aidé que contrôlé, ils inventent des tas de raisons pour que les gens passent auprès des caissières/caissiers — ce que ces gens préfèrent d’ailleurs: timbres, vignettes, réductions… tout un tas de petits papiers qu’on prétend vouloir éviter, et qui entraînent de menues conversations. En outre, il y a toujours des produits dont on n’arrive pas à trouver le rayon. On ne les achète pas toutes les semaines, ils font partie de petites gammes — ce n’est pas des yaourts —, et ils se choisissent d’étonnants voisinages où personne ne les attendrait. L’eau déminéralisée, utilisée pour le repassage? Avec les produits pour l’automobile. Les olives en bocaux? Loin des cornichons mais avec les chips et toutes leurs consœurs grignottables, auprès des boissons sucrées. Les chapelures et les farines, les gelées en poudre… trop peu nombreuses pour qu’on y fasse attention. Quant aux “croustades” en pâte feuilletée, ce n’est pas des gâteaux…  Tout ces produits permettent d’interpeller vendeurs et vendeuses, qui vous accompagnent jusqu’au produit recherché, voire vous expliquent les variantes, ou la présence, ailleurs dans le magasin, des promotions. À l’occasion, on peut même aborder un agent de sécurité, qui à travers les rayons semble observer un client: “Pardon monsieur, pouvez-vous me dire où je trouve le sucré vanillé?”
Les vendeurs des rayons à la découpe ou au vrac peuvent être plaisants — ou déplaisants — aussi. Telle vendeuse de fromage, dans un supermarché dont je vous tais le nom, est une publicité vivante pour son rayon. [D’ailleurs, peut-on être pâle et maigre, et vendre fromages, viandes et charcuteries?] Tel(le) autre vous conseille avec gourmandise au sujet des poissons. Mais tel troisième s’obstine à ne pas mettre en cohérence les prix affichés en rayon et ceux des balances, dont les images de fruits et légumes, et donc parfois les prix, sont comme celles d’un jackpot. Enfin, une question me taraude: faut-il vraiment avoir un physique japonisant pour vendre des sushis?

Puis-je vous raconter l’histoire de cette cliente, un jour, qui avec trois gosses dans un chariot à bambins faisait les rayons des fruits et légumes. Elle prit une pastèque, la donna à un des gamins, et dit “rond” et “lourd”, peut-être “vert” et “pastèque”. La pastèque allait de petites mains en petites mains — il n’y avait pas encore de covid. “Rond”, “lourd”, “gros” et “vert”. Elle prit une courgette, montra “long” de sa main et le dit. La courgette, à son tour, allait de mains en mains. Plus tard je la vis aux rayons des tomates — y a-t-elle dit “rouge”?  Peut-être s’est-elle rendue aux choux, ne serait-ce pour les faire sentir. J’ignore si elle a acheté beaucoup de produits — à vrai dire, j’en doute — mais les gamins ont passé un bon moment, plaisant et instructif.

Ce n’est pas tout. Le meilleur est à venir. Car nombreux ont été les amis, les anciens collègues, les personnes perdues de vue — souvent elles-mêmes urbanistes ! — que j’ai croisées dans les allées de ce supermarché si bien situé (et fréquenté…). Certaines rencontres ont été brèves, d’autres longues, voire très longues. Parfois ont inspiré des rendez-vous à venir. Me désintéressant de la température des yaourts dans mon panier, j’ai eu le plaisir — non, le privilège — de mener de longues conversations amicales (as-tu des nouvelles? comment va? et les vacances?), urbanistiques, politiques et même philosophiques entre les rayons de riz et de nouilles, de thons et de cœurs d’artichaut. Cinq minutes, un quart d’heure, vingt minutes, une demi-heure parfois, nous avons pris notre temps pour discuter, pour oublier le contexte, le magasin. Jamais je n’aurais pu avoir de tels échanges dans la boulangerie ou le magasin de presse du quartier. Dans une librairie peut-être, où on a le droit mais pas toujours la place pour traîner. Le supermarché comme agora. Comme rue dans une ville dont les vrais trottoirs sont trop étroits pour s’arrêter.

Le supermarché, espace privé par excellence, est aussi un peu espace public.

 

(ce texte, comme tous les autres sur ce site, est susceptible d’évoluer dans les jours et semaines à venir)

 

Un samedi-matin en septembre 2014, allant au supermarché, cette belle lumière m’a surpris: vue sur le périphérique (boulevard Robert Schuman) à partir du pont de l’avenue Churchill. D’autres photos de Lille se trouvent ici.

la Bourse de commerce à Anvers ❧

 

 

Quand la vieille bourse d’Anvers (de 1515) dans la Hofstraat était devenue trop petite, une plus grande bourse, en style gothique tardif, fut construite en 1531-1532 sur un terrain à la rencontre de quatre rues (Twaalfmaandenstraat, Israëlietenstraat, Borzestraat et Korte Klarenstraat). Détruite par un incendie en 1583, elle fut immédiatement reconstruite. Après de vifs débats, elle reçut une couverture vitrée de conception moderne en 1852-1854, qui brûla toutefois en 1858. La deuxième reconstruction, de 1868 à 1877, s’est faite selon un projet néo-gothique inspiré du bâtiment original. Elle combine, elle aussi, une architecture ancienne (la galerie) avec un couverture contemporaine.
La bourse d’Anvers a servi de modèle à celles de Londres, Amsterdam, Rotterdam et Lille. Mais une de ses caractéristiques architecturales est de n’avoir presque pas de façades. Le projet de reconstruction élaboré en 1858 prévoyait la création d’une place entre la Meir (rue principale de la ville) et la bourse, mais cette idée ne fut jamais mise en œuvre.

Le marché boursier anversois fut fermé en 1997 et transféré à Bruxelles, et les autres activités (bals, foires, manifestations politiques…) durent s’arrêter quand le bâtiment fut fermé à cause des risques d’incendie. Après vingt ans de vacance, le bâtiment vient d’être entièrement renové, et accueille désormais un hôtel et un lieu d’événements, ce qui réduit toutefois les possibilités pour le visiter.

Cliquez ici ou sur la photo.

la douche comme mode de voyage ❧

douchekraan in Vermont

 

Jusqu’en 1979, je ne savais pas ce qu’était une douche.
Mais alors, j’ai participé à un voyage aux États-Unis avec de jeunes architectes et étudiants, quinze jours d’architectures et d’autres plaisirs de New Haven à Washington, via Long Island, New York et Philadelphie. Nous conduisions des belles américaines, dejeûnions aux snacks, dinions dans d’immenses diners, et couchions dans des motels dont les salles de bains avaient de puissantes douches (showers). Des douches dans lesquelles on n’entre pas sans se protéger. Jusque là je n’avais connu que les tièdes averses des douches européennes. J’ai commencé à aimer la douche, et abandonné le bain.

Mais il n’y a pas que pour l’eau, pour sa force ou éventuellement sa faiblesse, que les douches restent une expérience quand on est en voyage. La robinetterie aussi peut réserver des surprises. On ne sait jamais si l’eau chaude viendra de tout près ou de loin — dans quel cas il faudra attendre longtemps —, ni si elle sera tiède, chaude ou brûlante. Et quand en plus on ne sait avec quel bouton et comment on commande cette eau chaude, il ne reste qu’à essayer. Et puis attendre.
Ensuite, quand après un premier baptême d’eau bienfaisante, on veut se savonner et, pour ce faire, fermer les robinets, on est incertain de réussir à obtenir la même température quand il s’agira de se rincer.
Beaucoup d’eau, trop d’eau se perd ainsi, et ils est étonnant qu’une installation faite pour recevoir tant de visiteurs différents, soit aussi difficile à comprendre et utiliser.
Mais pour un touriste, ça reste sur son voyage une expérience de plus.

Ces dernières années, j’ai pris en photos quelques robinets. De certains (la plupart?) je ne sais plus comment ils fonctionnaient, à quel bouton et dans quel sens il fallait tourner ou pousser, et pour obtenir quoi. Il ne faut d’ailleurs pas oublier que certains robinets d’eau chaude s’ouvrent vers la droite plutôt que la gauche, qu’ils peuvent se trouver placés à droite — avec l’eau froide à gauche — ou qu’un plombier ou un exploitant peu regardant peut avoir inversé les couleurs.

Cliquez ici ou sur la photo. 

un peu d’histoire

C’est en 1937 qu’Alfred M. Moen (dont le nom figure sur un des robinets mélangeurs,page 4) a créé la single-handed mixing faucet (le robinet actionné d’une seule main), qu’aux États-Unis on considère comme un des produits majeurs de l’histoire du design industriel — en fait le prototype des robinets mélangeurs qu’on trouve désormais dans de nombreuses cuisines, sur de nombreux lavabos et dans certaines douches. Mais il a dû attendre dix ans, jusqu’en 1947, avant de trouver un concitoyen à Seattle, industriel et co-investisseur, pour le produire en quantité.
[Le robinet de la page 4, portant la marque Moen, est toutefois différent, et plus difficile d’emploi. Il est moins génial que l’invention initiale. D’ailleurs, quand on regarde leurs collections actuelles, nombreux sont les robinets moins performants, mais choisis par une clientèle qui préfère l’aspect “esthétique”.]

Le robinet mitigeur thermostatique avec deux boutons tournants (un à chaque extrémité: température et quantité; exemple page 10), et qui est plus précis et plus sûr — car il conserve la température quand on ferme l’eau — date toutefois de 1911 déjà, quand il fut créé par un réparateur d’horloges et électricien (!) Frederick C. Leonard à Providence (Rhode Island). Il fut d’abord installé dans les hôpitaux et les salons de coiffure, et a dû attendre l’après deuxième guerre mondiale pour être introduit en Europe par Grohe et Delabie.

Pour Alfred M. Moen comme pour Frederick C. Leonard on raconte qu’avant de créer leur robinets, il leur était arrivé de se brûler à une eau trop chaude (ou s’être plaints d’une eau trop tiède). Les entreprises qu’ils ont créées existent toujours.
Je n’ai pu découvrir l’histoire des autres robinets.

 

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