Jeudi 29 mars, une “militante de la cause animale” (ainsi que la présente la presse) a été condamnée à sept mois de prison avec sursis pour “apologie de terrorisme” pour avoir écrit sur Facebook, le 26 mars, je cite “Ben quoi, ça vous choque un assassin qui se fait tuer par un terroriste? Pas moi, j’ai zéro compassion pour lui, il y a quand même une justice” (fin de citation). Son message faisait suite à l’attentat du 23 mars à Trèbes, qui a fait quatre morts, parmi lesquels le boucher du supermarché visé. Ainsi que le rapporte >Le Soir (de Bruxelles) le jour du verdict.
La militante a beau être véganiste (c’est-à-dire ne consommant aucun produit issu des animaux ou de leur exploitation), c’est bête ce qu’elle a pensé (un boucher assassin?), c’est très bête de l’avoir écrit et c’est encore plus bête de l’avoir publié. Sans doute n’a-t-elle pas mesuré la déraison et l’impact de son acte.
N’empêche. Sept mois avec sursis est une peine très lourde, qui la poursuivra toute sa vie. Fallait-il ajouter à la peine des victimes et de leurs proches — certes beaucoup plus lourde — celle d’une véganiste à la tête brûlée (ou pour le moins en surchauffe momentanée)?
Un tribunal, peut-il juger un tel délit d’opinion (ou plutôt: de parole) au moment où les drapeaux de tout le pays sont en berne? Peut-il juger le jour même des funérailles des quatre victimes mortelles? Peut-il juger alors que les pouvoirs exécutifs et législatifs, relayés et amplifiés par les médias, impriment à nous tous comment il faut comprendre l’attentat, et comment réagir, penser et parler? Peut-il juger à ce moment, moins d’une semaine après l’attentat, alors que la procureure et les juges, comme nous tous (et comme l’accusée), en sont les victimes morales. Car il s’agit bien d’un acte de terrorisme, c’est-à-dire un acte qui vise surtout les survivants, ce qu’ils pensent et ce qu’ils font. L’identité des morts et des blessés ou de ceux qui ont subi des dommages matériels n’étant, aux yeux des terroristes, que secondaire. Le terroriste veut créer une terreur, parmi une catégorie de personnes, ou parmi tous.
Le délit d’apologie du terrorisme a été introduit dans le code pénal (>Article 421-2-5) par l’article 5 de la loi du 13 novembre 2014: “Le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende. (…)”.
Qu’est-ce que l’apologie, d’après >Larousse ?
- Éloge ou justification de quelqu’un, de quelque chose, présentés dans un écrit, un discours ; cet écrit ou ce discours.
- Discours ou écrit glorifiant un acte expressément réprimé par la loi pénale (apologie du meurtre ou de la haine raciale).
D’après >les services du Premier ministre, (mais j’ignore les sources légales de leur définition)
- L’apologie du terrorisme consiste à présenter ou commenter favorablement des actes terroristes déjà commis. Par exemple, si une personne approuve un attentat.
- L’apologie se distingue de la négation (…)
- Pour être punie, l’apologie doit avoir été faite publiquement. Le caractère public des propos s’apprécie de la même manière que pour l’injure ou la diffamation. Ainsi, des propos tenus sur un réseau social ouvert au public peuvent être réprimés.
On comprend que le législateur fin 2014, à tort ou à raison, dans sa volonté de faire quelque-chose face à la réalité et la menace terroristes, a décidé de réprimer l’apologie du terrorisme. Il n’a pas précisé, comptant sur la sagesse des juges pour interpréter et appliquer. On imagine des hommes ou des femmes haranguant des foules (dans des salles ou, mieux, sur des réseaux), les encourageant à commettre des actes de terrorisme et, pour ce faire, faisant l’éloge des attentats commis et de leurs (soit-disants) “héros”.
Or, la loi qui devait attraper des requins, vient de pêcher une sardine.
Pas de chance pour la véganiste militante. Elle aurait dû se retenir. Et attendre qu’un boucher meure dans un accident de la circulation ou, mieux, à ses yeux, de chasse. Alors, elle aurait pu avoir “zéro compassion” pour “un assassin” sans être punie par un tribunal. (Ça n’aurait pas été plus correct pour autant.)
La militante végan, a-t-elle fait l’apologie d’un acte de terrorisme? L’a-t-elle justifié? A-t-elle encouragé que de tels actes soient commis? Non. (Relisez son message, tel que nous le cite la presse.) L’acte de terrorisme ayant été commis, elle s’est réjouie — ce qu’elle n’aurait dû faire, pour quelque raison que ce soit — qu’une des victimes fût un boucher.
J’ignore si de telles procédures devant un tribunal correctionnel puissent faire l’objet d’un recours en appel. J’espère que ce soit le cas. Pour qu’alors le tribunal prenne le temps pour juger — ce qu’il devrait toujours faire — et pour qu’il voie la distinction fondamentale entre une connerie momentanée, même sur la place publique qu’est Facebook, et une organisation criminelle.
C’est un syndicat professionnel de bouchers qui avait porté plainte contre la militante véganiste auteure du message incriminé. On les comprend. J’ose espérer qu’eux aussi soient un peu surpris par la lourdeur du verdict. Entretemps, on continue d’écrire que la guerre ressemble à — voire est — une boucherie. Personne ne s’en émeut.