Plusieurs nouvelles lignes de tramway viendront agrandir le réseau de transport en commun dans la Métropole européenne de Lille. De quels itinéraires est-il question? Cette extension bénéficiera-t-elle aux déplacements transfrontaliers?
Jef Van Staeyen
Plusieurs nouvelles lignes de tramway viendront agrandir le réseau de transport en commun dans la Métropole européenne de Lille. De quels itinéraires est-il question? Cette extension bénéficiera-t-elle aux déplacements transfrontaliers?
Dix-neuf trains, dont deux TGV, six tramways, quatre à Besançon et deux à Anvers, un métro, la ligne 5 à Paris, et la voiture d’un automobiliste à Langres m’ont permis de visiter en ce mois de juin 2022 une dizaine de villes du Centre-Est de la France.
Ci-dessous, dans un texte assez long, je remercie tous ceux qui m’ont facilité ce voyage, exprime le plaisir que j’ai ressenti en voyageant de ville en ville, signale brièvement les principaux lieux visités, et fais un long détour par mon histoire personnelle et mon lien avec la France — où j’ai vécu pendant 36 ans —, que malgré mon retour en Belgique je continue de découvrir.
Avant toute chose, je veux remercier les agents de la SNCF, aux guichets, dans les gares, sur les quais, dans les trains. Ils ont rendu possible mon voyage.
J’exclus toutefois de mes remerciements ceux qui ont conçu le site web de vente de billets. Ou plutôt: qui ont conçu la stratégie commerciale, car elle vise à créer la confusion dans la tête des voyageurs, et à leur vendre ce dont ils n’ont guère besoin.
À Chalon-sur-Saône, la numérotation des voies est aussi simple que l’orthographe du nom de la ville
Aussi — et quand-même — je remercie les hôteliers, cafetiers et restaurateurs, et surtout leurs personnels. Ils ont rendu possible mon voyage, et ils ont montré le rôle social qu’ils jouent quand leurs établissements sont comme des espaces publics — ce qui est particulièrement vrai pour les cafés-restaurants, parfois hôtels, dans les villes petites ou moyennes à faible rayonnement touristique. [Ailleurs, la stratification des clientèles éloigne les gens les uns des autres.]
J’exclus toutefois de mes remerciements ceux qui ont conçu la plupart des sites web sur lesquels s’établissent les réservations des hôtels. Ou plutôt: qui ont conçu la stratégie commerciale dont ces sites sont l’émanation et l’outil, car ils inondent les voyageurs de messages inutiles, pour mieux les attraper dans leurs filets. [Devoir enregistrer en ligne — check in — une chambre d’hôtel qu’on a déjà réservée et payée? Évaluer un hôtel en réponse à un message no-reply? Comme si j’avais envie de passer mes vacances devant mon ordinateur…]
Je remercie les gens des musées et des églises, qu’ils soient préposés à l’accueil ou présents dans les salles. Ils ont rendu possible mon voyage, parfois même en acceptant que j’entrepose mes bagages le temps de la visite. [Les bagages sont le point faible d’un voyage en train de ville en ville et d’hôtel en hôtel.]
J’inclus même ces quelques gardiens de salle que, visiteur trop rare, j’ai perturbés dans leur sommeil. Il a fait chaud, très chaud, et je comprends leur attitude. J’exclus toutefois — ou nuance mes remerciements — pour certains concepteurs de musées ou d’expositions qui inondent les visiteurs de textes ou d’outils interactifs, alors que c’est les objets mêmes qui m’intéressent. Et j’exprime mon regret que le Musée du Temps à Besançon ne se soit rouvert, après rénovation, que le jour où j’ai quitté cette belle ville.
Je remercie les gens avec qui j’ai bavardé, car ils ont rendu agréable mon voyage. Je pense en particulier au couple âgé à Besançon, de retour dans leur ville, où ils souhaitent se réinstaller. Je leur souhaite de réussir leur projet. Il ressemble un peu au mien. Je remercie la femme avec ses trois filles, auteures de tricots-graffitis sur les platanes de Tournus en bordure de la Saône. Je remercie les piétons qui m’ont indiqué le chemin — et ceux qui m’ont demandé le leur, il est toujours plaisant d’être pris pour un local dans une ville qu’on découvre. Et je remercie ceux qui ont assuré, organisé… de petits événements dont j’étais le témoin: le violoncelliste installé chez le luthier, qui s’essayait au premier concerto pour violoncelle de Joseph Haydn, ou les organistes en concours dans la cathédrale de Besançon.
Concours d’orgue dans la cathédrale Saint-Jean à Besançon, le jury
Je remercie tous les gens dont, bien involontairement, j’ai écouté les conversations. Dans le train, au restau, dans la rue. Surtout les français, car ils sont porteurs d’une ambiance qui m’est toujours familière, même si je m’étonne souvent du creux de leurs propos. Le bavardage compte davantage que ce qu’on se dit. Je remercie le voyageur au téléphone dans le train de Paris à Vierzon, placé juste derrière moi — la SNCF demande pourtant de ne pas téléphoner dans les voitures, hormis sur les balcons —, qui mélangeait allègrement propos professionnels et privés. “Bienvenu au club” dit-il quand il apprend que son interlocuteur, avec qui il prépare une conférence académique au sujet des réfugiés, vient d’être planté par son amour (sa compagne, son épouse), pour plus jeune que lui. Iront-ils boire un verre ensemble à l’issue de leur conférence, pour se raconter leur malheur et noyer le chagrin? Aussi, je remercie le gars sur la terrasse d’un restaurant à Nevers, intarissable, qui ennuyait sa femme, ses parents et son fils avec ses certitudes, ses savoirs et ses avis. Est-il aussi bavard et pédant au boulot parmi ses collègues, ou garde-t-il pour sa famille tous les propos ravalés? Et celui au Creusot, ouvrier du nucléaire avec sa bande de stagiaires, bien obligés de l’écouter et de rire de ses blagues. Ou cette phrase captée dans la rue à Besançon: “J’ai pas trouvé transcendant ce qu’il a dit.” Ils sont formidables, les français. Je les trouve transcendants.
Enfin, je tiens à remercier l’automobiliste qui m’a conduit, moi et mes bagages, de la gare de Langres vers mon hôtel dans le centre-ville, 2500 mètres plus loin, mais surtout 130 mètres plus haut, alors que le chemin qui y mène n’est pas fait pour marcher. Langres n’était pas sa destination — il venait chercher ses filles à la gare — mais trouva sympa de m’amener. En paroles, nous avons fait le tour de la région. Merci encore. Et bonne route, toujours!
Vous l’avez compris, en ce mois de juin j’ai réalisé une suite au voyage ferroviaire de 2019, qui avait failli me mener à Vierzon. Il est vrai que pour boucler les parcours entre 2019 et ’22, j’aurais dû commencer par un TGV pour Tours, d’où je serais parti pour Vierzon. Mais comme j’aime — j’aimais — la gare de Paris-Austerlitz pour son ambiance du Midi et du grand Sud-Ouest, j’ai préféré un Intercité de Paris à Vierzon — il a Toulouse-Matabiau comme destination. J’aimais, je dis, car dans la folie urbanistique parisienne de couvrir toutes les voies ferrées, la gare d’Austerlitz a perdu son charme et détruit mes plus beaux souvenirs. Là où il y avait le soleil, il y a du béton. Austerlitz n’est plus ce que c’était.
À gauche le trajet de 2019, que j’avais complété d’un retour en TGV de Tours à Lille, et à droite celui de 2022, de Vierzon à Vesoul, et même plus.
Montchanin, Dijon, Belfort et Chaumont n’étaient pas des étappes, mais des gares de correspondance, le cas échéant complétées d’un arrêt dans une brasserie. Dijon et Chaumont ont chacunes fait l’objet de nombreuses visites antérieures (en excellente compagnie d’ailleurs). Quant à Montchanin, ce n’est guère plus qu’une gare. J’ai visité Blois (en 2019) et Tournus (en 2022) en logeant respectivement à Tours et à Chalon-sur-Saône.
Après Vierzon: Châteauroux? Montluçon? Bourges et sa cathédrale? Qui sait? m’étais-je demandé en 2019.
Finalement, j’ai plutôt choisi l’Est. La direction Est, j’entends — Berry, Bourgogne, Franche-Comté et un coin de Champagne. Après Vierzon, Bourges a été la deuxième étape, un saut de puce, il est vrai. Pour continuer vers Nevers, puis Paray-le-Monial, Le Creusot, Chalon-sur-Saône, Besançon, Vesoul. Un voyage de Vierzon à Vesoul donc, auquel j’ai ajouté Langres, ainsi qu’une excursion de Chalon à Tournus. Qui connaît la géographie française, et celle ferroviaire de surcroît, se rend compte que cet itinéraire est plutôt irrégulier. La “faute” à trois raisons: (1) les villes de Paray-le-Monial, lieu de pélérinage, et, plus surprenant, du Creusot, centre industriel, sont mal desservies par le train, et demandent des détours par des voies peu circulées — où les branches des arbres fouettent les rames —; (2) le chef-lieu de département qu’est Vesoul n’est pas relié par voie ferrée avec son (ancienne) capitale régionale qu’est Besançon; et (3) ayant déjà visité Autun et Dijon, même plusieurs fois, je ne comptais pas y retourner, même si leur position aurait été logique sur mes trajets.
Je dois vous l’avouer: j’aime être servi quand je suis en vacances. Je ne parle pas de l’automobiliste à Langres, dont c’était un geste amical. Mais pour tous les autres, à la SNCF, dans les hôtels et les restaurants, dans les musées et parfois les églises, c’était — c’est — leur métier de servir. Au sens noble du terme. Dans un autre contexte, dans le journal De Standaard, en néerlandais — leve de balie, leve de mensen —, j’ai plaidé pour le maintien des agents d’accueil dans les musées — que d’aucuns proposaient de remplacer par des sites web et des machines. Ces métiers sont essentiels. Ces gens sont essentiels. Apprécions-les. Pas seulement en touriste, mais également dans la vie quotidienne.
Loin de moi l’idée de me faire servir chez moi (livreurs de colis, livreurs de repas, ménage…), mais j’aime qu’il y ait des gens dans les magasins, dans les bureaux de poste, dans les gares et les trains… ainsi qu’au téléphone pour répondre quand j’appelle une entreprise ou une administration.
Un avocat se rend au Palais de Justice de Vesoul (Pascal Coupot, 2004)
Il est vrai qu’il y a plusieurs façons de voyager, dont certaines renvoient au contraire à l’isolement, au mode de vie de l’hermite. On part à pied, en vélo, en moto (Traité du Zen et de l’Entretien des Motocyclettes, Robert M. Pirsig, 1974) ou même en voiture, avec de quoi camper, et se donne, pour quelque temps, une illusion d’autonomie. Besoin de personne. Où il faut quand-même constater que ceux qui vont à l’extrême, les alpinistes ou les navigateurs qui fuient le monde civilisé et se mesurent aux forces de la nature, ont dans leur bagages et leurs équipements tout ce que la civilisation humaine sait produire de plus moderne et de plus performant. Ce qu’ils réussissent est vraiment extrême, ça force l’admiration, mais ils ne coupent aucunement le cordon ombilical qui les lie à la civilisation et ses technologies. Quelqu’un qui l’a essayé est le jeune américain Christopher McCandless (1968-1992), dont Jon Krakauer a écrit l’histoire tragique dans Into the Wild (1996), portée à l’écran par Sean Penn en 2007. McCandless s’était volontairement mal préparé pour affronter la vie en dehors du monde. Par deux fois il se fait piéger par la crue d’une rivière — la deuxième lui sera fatale —, ses savoirs botaniques ne suffisent pas pour identifier ce qui est comestible, et son fusil est trop léger pour se défendre contre un ours. [Mais ne sommes-nous pas collectivement un McCandless, mal préparés dans notre report à la terre?] Quant à Jon Krakauer, afin de donner chair à son livre, il y raconte aussi d’autres expériences extrêmes, dont les siennes. Dans le chapitre 8, il cite un certain Gene Rosselini dont “la vie d’adulte a commencé avec l’hypothèse qu’il était possible de redevenir un homme de l’âge de pierre”, mais qui a “découvert qu’il n’était pas possible aux êtres humains tels que nous les connaissons de vivre à l’écart de la civilisation.”
Je reviens toujours aux mêmes livres — et pourtant, j’en lis beaucoup — car le constat de l’impossibilité de vivre à l’écart de la civilisation est aussi celui que fait Alfred Issendorf, bien contre sa volonté, dans le roman “Ne plus jamais dormir” (Nooit meer slapen) de Willem Frederik Hermans (1966). Perdu au milieu des montagnes norvégiennes, les fjellen, il constate son incapacité à survivre dans la nature, même la moins hostile (la Norvège en été, ou sa Hollande natale), car il n’arrive pas à distinguer ce qui comestible de ce qui ne l’est pas.Sans tomber dans l’opposé extrême — le séjour ou le circuit organisés, le cas échéant en groupe et avec un guide — mon voyage fut donc pour moi l’occasion de rappeler, voire de célébrer ma dépendance, comme individu, d’une société qui — à travers ses trains — va jusqu’à m’imposer ses horaires. Célébrer aussi ma dépendance des autres. Une dépendance à l’égard de parfaits inconnus, confortée par le préjugé positif, modéré mais réel, que nous avons tous les uns des autres, et sans lequel la vie en société ne pourrait exister. Une dépendance que, les années passées, l’épidémie de covid et les solutions mises en œuvre collectivement pour la combattre nous ont rappelée avec force. Les autres ont été le risque, et ils étaient la solution. [Lire, sur ce site: 2020, l’année des pouvoirs publics.]
Ce voyage était comme je conçois la vie. Je l’affirme clairement: si je suis citoyen d’un pays — voire de plusieurs, la France où j’ai vécu à partir de 1983 et dont j’ai acquis la nationalité en 2007 et la Belgique où je suis retourné en 2019 —, c’est par les espaces publics, les rues et les places qu’il m’offre, par les trains qu’il fait rouler et les courriers qu’il envoie à mon attention, par les musées que je peux visiter (et, avouons-le, les églises), par ses écoles et ses soins — par le soin qu’il prend de moi —, par ses restaurants, cafés, hôtels et commerces que je peux fréquenter. Et par les gens qui y vivent. Par sa société. Un pays, c’est ça, bien plus qu’un nom, un drapeau, des frontières ou un hymne.
C’était un des objectifs de mon voyage — pas complètement atteint, j’en conviens: de visiter un pays ordinaire, quotidien, éloigné des hauts-lieux du tourisme. Si Barcelone déborde, allons à Vierzon.
À Vierzon et Vesoul, j’ai réussi ce pari — vous y êtes déjà allé, vous? —, et au Creusot aussi. Le fait que parfois on me prenait pour un VRP (voyageur et représentant de commerce) qui aurait besoin d’une facturette en témoigne. À Nevers et Chalon-sur-Saône, un peu moins — encore qu’on y est plus habitué aux touristes qui passent la nuit entre deux longs trajets qu’à ceux qui viennent pour visiter. À Bourges (sa cathédrale), Paray-le-Monial (sa basilique), Tournus (son église abbatiale), Besançon et Langres (leurs sites et leurs remparts), je pense pas. Certes, aucune de ces villes n’est un haut-lieu — sauf Langres par son l’altitude —, mais l’inclinaison du voyageur que je suis me conduisait à y fréquenter les lieux les plus touristiques. Comme une bille qu’on fait rouler dans une assiette creuse, mes chemins m’amenaient et me ramenaient vers les monuments et les vieux quartiers, pas vers les périphéries. Pour être vraiment dans la France quotidienne, j’aurais dû choisir Montchanin — qui pour moi n’était que cette gare de correspondance, avant et après Le Creusot — ou Venarey-les-Laumes, par exemple.
Je ne vais pas reprendre ici une sorte de Défense et illustration (et critique) des chemins de fer français en général, et des TER en particulier, que j’ai déjà réalisée en 2019. Les avis alors exprimés se sont confirmés en 2022: les TER et les gares qu’ils desservent sont excellents (mais un peu trop rares, selon les endroits). Les TGV, victimes de leur succès, le sont moins. [Pour mon voyage, j’ai pris 19 trains, dont un seul avait un problème: le Thalys de Paris à Anvers. La clim ne marchait pas.]
Je me limite à quelques informations, appréciations et conseils de nature touristique.
La cathédrale Saint-Étienne à Bourges
Vierzon, ou Le Cri d’Edvard Munch en pierre
Exposition permanente de maquettes de locomotives dans l’écomusée du Creusot
Au Creusot, L’Arc, L’Arche et L’Alto rendent l’Esplanade François Mitterrand peu accueillante
La ville de Nevers vous aide volontiers à prendre des selfies le dos tourné à l’église Saint-Étienne et ses chapelles rayonnantes (XIème siècle)
Reconstiution simplifiée — et de mémoire — de la perception des rubans de leds dans un tunnel ferroviaire
(où je fais un grand retour en arrière, vers les années 80 dans les Deux-Sèvres)
Il y a vingt, peut-être vingt-cinq ans, je prenais la décision — étonnante — de ne plus passer mes vacances en France. En tous cas pour quelque temps. J’avais visité de nombreuses villes et régions — sauf la Bretagne et la Corse. J’avais vécu et travaillé en region parisienne et à Niort, et je vivais à Lille. Avec la belle-famille et les amis, je m’étais senti chez moi quand j’étais dans leurs pays. Mon oreille avait été branchée sur France Inter — Pierre Desproges, ou l’Oreille en coin — et mes yeux sur Antenne 2, et je lisais Le Canard, Le Monde et Libé, et la presse régionale — qui recevait de moi des courriers de lecteur et des poissons d’avril. À Niort comme ensuite à Lille, le boulot m’avait mis sur la route, découvrant tant des régions touristiques que des lieux méconnus. L’île d’Oléron, le Marais Poitevin ou le Val Joly. Sauzé-Vaussais, Hautmont ou Pecquencourt. Surtout la période niortaise (fin 1983 – début 1989), où je travaillais dans l’amélioration de l’habitat, d’abord en ville et puis dans les campagnes, m’avait rapproché des français. “Tu découvriras la France profonde” m’avait annoncé un collègue — parisien. Plusieurs fois par semaine je partais en voiture à travers les campagnes légèrement vallonnées et surtout faiblement peuplées, à la découverte des villages et des maisons dont les couleurs lumineuses se confondent avec celles des pierres et des sols, ou qui se cachent derrière les bocages. Je tenais des permanences dans les mairies et les centres sociaux, de préférence les jours de marché, je visitais des maisons et rencontrais leurs habitants — ou parfois leurs propriétaires, ainsi que les élus des villages. Les midis, je déjeunais à la façon d’un VRP ou d’un marchand de bestiaux. Je pouvais avoir la malchance que tel restaurant, le seul du village, offrait tous les vendredi que je m’y rendais le même plat, ou au contraire le plaisir que dans tel autre, les jours de marché, tous les clients se glissaient les uns après les autres aux mêmes tables. Quand la table était complète, la soupe arrivait, puis l’entrée, et ainsi de suite. Les mercredi, si j’en avais l’opportunité, je prenais une demi-heure après le restau pour m’installer en toute tranquillité à l’orée d’un bois et lire mon Canard.
Il faut se rendre compte que pour conseiller l’habitant (ou plus souvent l’habitante) d’une vieille maison, pour qu’il ou elle puisse la rénover, et pour l’aider à instruire son dossier, le chargé d’opération — nom officiel du métier — doit tout savoir. Il doit visiter la maison de fond en comble — la cuisine, les sanitaires, la chambre à coucher — et il doit réclamer aux gens plusieurs documents privés, tels un avis d’imposition et une fiche d’état civil. Non sans se parler longuement. Par cette combinaison d’informations sur la personne et sur son logement, le métier de chargé d’opération en amélioration de l’habitat doit être parmi les plus intrusifs qui existent. Je me suis parfois demandé si les années où je travaillais dans le Pays Mellois, je n’étais pas celui qui dans toute cette région avait vu le plus de cuisines, le plus de coins toilette et le plus de chambres à coucher de l’intérieur. Qui finissait par savoir de tous ces gens qui on est, d’où on vient, combien on gagne et comment on vit. Avec quels chiffons et serviettes, quels bibelots et couvre-lits. Heureusement pour les gens — et pour moi — l’immense majorité de ces informations intimes se transformaient rapidement en données abstraites, nécessaires pour un “dossier”. Les rapports humains étaient — sauf exception — très agréables, parfois même d’amitié (sans que cela dût nuire à l’approche professionnelle). Alors on blaguait des “accents” réciproques, car mon accent belge n’était pas le seul qui surprend. Dans le Poitou aussi, on sait parler bizarrement. [Il m’est arrivé d’entendre comme… du québecois.]
Ayant bénéficié de ce “bain de France”, il ne me surprend pas, a posteriori, que j’étais saturé. Car après tout, les villages, et surtout leurs chefs-lieu-de-canton se ressemblent. Ils ont tous la même mairie, ils avaient tous les mêmes bureaux de poste — l’ont-ils encore? —, les mêmes agences du Crédit agicole, les mêmes écoles, les mêmes boulangeries vendant les mêmes baguettes, et les mêmes bars-tabac-presse — dont la moitié s’appelle la Civette. On y voit les mêmes plaques de notaire sur les mêmes maisons cossues, et les mêmes monuments aux morts. Et à la sortie du bourg ils ont tous le même Intermarché — avec station service — à la fois menace et nécessité pour la (sur)vie du village. On dit que les centres commerciaux se ressemblent, mais qu’en est-il des villages?
Ajoutons que cette période a vu se développer la France des ronds-points et des boîtes-à-chaussures. Alors que les centres des chef-lieux de département ou d’arrondissement — les Préfectures et Sous-Préfectures — ou de toutes villes un peu importantes se rétrécissaient, se ripolinaient et se piétonnisaient — l’un n’allait pas sans l’autre: pavés, bacs-à-fleurs et candelabres par-ci, circulation et stationnement par-là —, à leurs abords se constituait une croûte de zones d’activités, mais surtout de commerces et de vastes parkings, dont les noms mariaient le sigle ZAC, claquant comme un fouet, aux douces toponymies locales issues des cadastres et des vieux chemins. Reprocherait-on aux habitants de ces villes et des campagnes environnantes de vouloir acheter les mêmes objets que ceux des grandes villes? Pour quelqu’un comme moi, touriste en voiture alors, aimant les paysages mais aussi les villes et villages, l’attrait du pays en souffrait. J’avais tout vu et j’irais voir ailleurs.
Ça n’a pas duré, pourtant, cette abstinence. Quelques années plus tard, fut-ce l’évolution de mon métier, qui petit-à-petit me coupait du pays? [Je n’oublie pourtant pas que la coopération transfrontalière, à son tour (1989-2007), m’a permis de découvrir, non plus les hameaux du Poitou mais toutes les villes et régions frontalières de France, et parfois d’ailleurs, et d’y nouer des amitiés trop mal entretenues.] Ou fut-ce le choix paradoxal, je reconnais, d’une part de prendre la nationalité française et d’autre part de brancher ma radio sur Bruxelles — Klara — et de lire tant les journaux belges que français, wallons que flamands? Car à travers d’autres vacances, en Bourgogne, en Auvergne comme dans le Midi, en Normandie comme à Marseille, à travers des trajets en vélo sur les chemins de halage — c’est plat et ça me plait — j’ai repris le goût du pays. Les voyages ferroviaires de 2019, peu avant mon installation en Belgique, et de cette année, qui m’ont mené de ville en ville, en sont un point culminant. Je découvre et redécouvre comment dans ce pays tout n’est pas égal mais au contraire différent. Les villes et villages de France sont, comme en musique, des variations sur un thème. Et ce thème est joli. Il chante. Quant à arriver par le train dans une ville que je ne connais pas et que je découvre en marchant, cela me plaira toujours. Aucun automobiliste (même aidé par GPS), stressé à trouver son chemin et une place de parking, ne goûtera de ce plaisir.
Et puis, je n’ai jamais mis le pied à Grenoble ou Chambéry, à Mâcon, Valence ou Vienne, à Beauvais ou Chartres (!), à Mende, Tulle ou Ussel.
Sur le versant néerlandophone se trouvent quelques autres textes:
Nous avons vidé la maison parentale. Les meubles, les affaires, les livres.
Dans la bibliothèque de mon père, j’ai choisi quelques romans. Dont ceux d’Heinrich Böll.
L’honneur perdu de Katharina Blum — que je viens de relire, en néerlandais — m’a autant impressionné qu’il y a cinquante ans. Ce livre n’a rien perdu de sa force.
Katharina Blum a 27 ans. Elle a deux handicaps, et son comportement deux incohérences. Ses handicaps sont qu’elle est jolie, et qu’elle travaille bien et beaucoup. Elle travaille comme aide ménagère et dans l’horeca: les cafés, restaurants, fêtes et réceptions. Où elle se fait souvent harceler, surtout quand elle organise des événements au domicile de personnes influentes. Les incohérences dans son comportement, jugées suspectes, sont d’une part qu’il lui arrive souvent de prendre sa Volkswagen pour rouler pendant des heures et des heures, sans destination précise — ce qu’elle fait de préférence sous la pluie sur des routes arborées —, et d’autre part qu’étant connue comme prude et réservée — on l’appelle parfois “la nonne” — il vient de lui arriver, un soir de jeudi gras (Weiberfastnacht), de tomber sous le charme d’un homme jamais rencontré, de danser toute la soirée avec lui de façon fort intime, de décider sur le champ de vouloir vivre avec lui, et de l’amener chez elle. Or cet homme est un criminel — ce qu’elle ignore — pris en filature par la police, et elle l’aide à s’évader de son appartement. Les ennuis ne se font pas attendre, d’abord avec la police et ensuite avec la presse à scandales: la Zeitung. De l’avis de la police, la rencontre avec le gangster le soir de la fête n’était pas fortuite mais planifiée, et Katharina est une complice. Pourquoi tous ces kilomètres, soi-disant sans destination aucune? Où allait-elle? Pourquoi a-t-elle pris le tramway pour aller à la fête où elle a rencontré cet homme? Qui est le visiteur dont parlent les voisins — un homme important dont elle fuyait la présence, mais dont elle refuse de révéler l’identité —, et qui lui a offert une bague onéreuse — dont elle ne voulait pas non plus?
Pour la presse, en tous cas la Zeitung, il n’y a pas que ça. Les doutes de la police se transforment en certitudes, voire sont déformées et sa défaveur: Katharina devient le centre d’un réseau criminel qui menace la sûreté de l’État, et ceux qui lui sont proches sont trainés dans la boue. Tous? non, car la Zeitung est sélective dans ses opérations de démolition.
Puisqu’il apparaît que certaines infos ont fuité du bureau de la police pour être exploitées par la Zeitung, Katharina s’en plaint, à quoi le procureur lui répond que “celui qui n’a pas de mauvaises fréquentations, ou ne s’y frotte pas par hasard, n’offre aucune opportunité à la presse de déformer la réalité”. Katharina ferait partie de “l’histoire actuelle”, qu’à l’aide de la presse à scandales les gens ont le droit de connaître.
En réaction à quoi, sa vie détruite, Katharina décide d’accorder une interview au journaliste de la Zeitung, et l’abat d’un coup de feu.
Cet aboutissement, nous ne le découvrons pas à la fin du roman, mais à son début, ce qui fait partie du style et de la structure magistrale du livre. En 58 brefs et parfois très brefs chapitres, Böll prend le lecteur par la main, et lui présente le récit comme un reportage au ton parfois sec et administratif et ailleurs ironique, mais en désordre chronologique. Ce qui me fait penser au roman (bien plus récent) Puhdistus (Purge) de Sofi Oksanen en 2008.
Je conseille aux lecteurs de ne pas se décourager devant les bizarreries de style et de contenu des deux premiers chapitres, et de bien mémoriser les noms allemands qui parfois se ressemblent. Ceci étant fait, l’histoire court comme un train.
J’ai relu deux fois le livre (en néerlandais) et découvert ensuite que j’ai également une édition de poche en allemand, éditée en France, dans la collection “Lire en Allemand”, avec (la plupart du temps) des explications en allemand et (plus rarement) des traductions en français. Couplée avec la lecture en néerlandais, cette version originale en allemand m’a plutôt réussi.
Entretemps, je constate qu’il n’y a aucun Böll dans les librairies, et très peu à la bibliothèque. Dont aucune Katharina Blum.
Post scriptum: Die verlorene Ehre der Katharina Blum a été portée à l’écran par Volker Schlöndorff et Margarethe von Trotta en 1975.
(version modifiée et complétée, mai 2024)
Le 13 novembre 2021, j’ai publié sur ce site un article élogieux au sujet de l’architecture du métro de Montréal. Deux nouvelles visites à cette ville, en avril 2022 et mai 2024, m’ont apporté de nouvelles photos et de nouvelles idées. Désormais, vous trouvez ici quatre photo-reportages complets des quatre lignes de métro de Montréal. Complets, ou incomplets, au sens que toutes les 68 stations sont traitées, mais pas tous leurs éléments intérieurs et extérieurs. Je n’ai pas parcouru tous les couloirs vers toutes les sorties (ou entrées), et certains éléments peuvent avoir échappé à mon attention, ou peuvent avoir été difficiles à photographier. Mon regard demeure d’ailleurs subjectif. La station Peel sur la ligne verte m’intéresse beaucoup plus que sa voisine McGill. Vous verrez vous-même pourquoi. Le réseau continue d’ailleurs d’évoluer. La STM, Société de Transport de Montréal, rénove et parfois transforme les stations, afin d’assurer à terme l’accessibilité universelle. [Elle travaille aussi au prolongement de la ligne bleue vers l’Est.]
La ligne verte Angrignon — Honoré Beaugrand compte 27 stations.
La ligne orange Côte-Vertu — Montmorency compte 31 stations. Les stations de correspondance Lionel Groulx et Berri-UQAM, déjà mentionnées pour la ligne verte, sont également reprises.
La ligne bleue Snowdon — Saint-Michel compte 12 stations. Ici aussi, les stations de correspondance déjà montrées — dans ce cas Snowdon et Jean Talon, de la ligne orange — sont également reprises.
Pour être complet — encore que — voici la ligne jaune Berri-UQAM — Longueuil-Université de Sherbrooke. La ligne est courte et son nom est long, seulement 3 stations, dont la première, Berri-UQAM, était déjà présente pour les lignes verte et orange, et dont la dernière, Longueuil…, est en travaux et difficile à observer.
Trois des quatre stations de correspondance — Lionel Groulx, Snowdon et Berri-UQAM — sont des chefs d’œuvre pour ce qui est de l’organisation des flux de voyageurs. Lisez et regardez ici pourquoi.
En décembre 2023, le Cahier de l’Espace public a publié ma contribution au sujet du métro de Montréal: le Trésor souterrain de Montréal.
“Les voyageurs qui se rendent à Montréal ne le font pas pour la qualité de son architecture, et ceux qui y prennent le métro le font par souci de facilité. Pourtant, c’est là, dans ce réseau souterrain, qu’ils découvrent des espaces publics parmi les plus intéressants qu’offre la ville, et qui n’ont pas leur égal en Europe de l’Ouest…”
Et ceci est, en rappel, un lien vers le texte écrit en novembre 2021.
De façon très subjective, j’attribue les étoiles de qualité suivantes aux stations de métro.
★★★★ quatre étoiles: LaSalle, Verdun et Radisson (ligne verte),
★★★ trois étoiles: De l’Église, Peel, Langelier (ligne verte), Plamondon, Place Saint-Henri, Georges Vanier, Lucien L’Allier, Bonaventure, Rosemont, Jarry (ligne orange), et Outremont (ligne bleue),
★★★ trois étoiles également, pour l’organisation des flux de voyageurs: les stations de correspondance Lionel Groulx, Snowdon et Berri-UQAM,
★★ deux étoiles: Angrignon, Monk, Jolicœur, Charlevoix, Place des Arts, Beaudry, Préfontaine, Joliette, Pie IX, Viau, Assomption, Cadillac, Honoré Beaugrand (ligne verte), Du Collège, De la Savane, Côte Saint-Catherine, Villa Maria, Vendôme, Champ de Mars, Mont Royal, Laurier, Beaubien, Jean Talon, Crémazie, De la Concorde (ligne orange), Côte des Neiges, Université de Montréal, Édouard Montpetit, Acadie, Parc, De Castelnau, Jean Talon, Fabre, D’Iberville en Saint-Michel (ligne bleue), et Jean Drapeau (ligne jaune),
★ une étoile: Saint-Laurent, Frontenac (ligne verte), Côte-Vertu, Namur, Square Victoria OACI, Place d’Armes, Sherbrooke, Sauvé, Henri Bourassa, Cartier, Montmorency (ligne orange), et Longueuil Université de Sherbrooke (ligne jaune),
aucune étoile: Atwater, Guy Concordia, McGill et Papineau (ligne verte).
Remarquez:
Ensemble avec les photos, les descriptions et les schémas, ces nombreuses étoiles témoignent de la qualité du métro de Montréal, qui mérite vraiment qu’on le visite et admire — et l’utilise, car il est fort pratique. Ce que les églises sont pour Naples, le métro l’est pour Montréal.
Vaut le voyage.
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