Jef Van Staeyen

Catégorie : Blog Public (Page 2 of 17)

trésor de la langue française

chers amis francophiles,

Il m’a fallu du temps pour découvrir ce joyau. Cette perle. Ce bijou. Cette pépite de la langue française.
C’est un article du Monde du 19 mars — Réforme du calcul de l’APL [aide personnalisée au logement]: le cauchemar des agents de la CAF [Caisse des allocations familiales] — qui m’a fait tomber dessus: la contemporanéisation.
En bref, il s’agit de calculer le montant des aides mensuelles (aujourd’hui l’APL, demain aussi d’autres) sur les données les plus récentes. Alors que dans le passé c’étaient les revenus de deux ans plus tôt qui servaient de référence. Maints ménages et maintes personnes se sont fait piéger par ce mode de calcul, dont la suppression fera aussi — qui s’en étonnerait? — quelques économies au budget de l’État.

Il faut penser que les têtes d’œuf, c’est-à-dire les consultants qui ont conseillé l’État — car c’est le consultant qui conseille, et celui qui cherche des conseils qui consulte… sauf en médecine, où la consultation est bidirectionnelle quand le patient consulte un médecin qui consulte… —, après avoir mûrement réfléchi, se sont laissé tomber la tête fatiguée sur le clavier de leur mac au moment où il s’agissait de trouver un nom pour la chose. Il en est résulté une incompréhensible succession de suffixes, produisant le substantif contemporanéisation, véritable piège orthographique, sans oublier son incommensurable imprononçabilité. Je suppose alors que les agents de la CAF, et autres personnes martyrisées par le calcul des aides, se cassent la tête (la leur, et parfois celles des autres) quand il s’agit de contemporanéisationner.
À l’imparfait du subjonctif, ça doit donner: je ne m’imaginais pas que nous contemporanéisationnassions autant.

Je précise toutefois que le verbe contemporanéisationner n’existe pas encore. À mon avis, il ne manquera pas d’apparaître, vu la tendance à créer de nouveaux verbes en “tionner” chaque fois qu’un problème se présente (qu’un verbe initial semble oublié, ou trop difficile à conjuguer), ou pour signaler un léger décalage de signification. Pensons à solutionner, révolutionner, questionner, positionner, voire acquisitionner et libérationner.
À l’inverse, il n’est pas impossible que dans les services, on parle plutôt de la contempoSi vous avez un instant, madame, je vous fais votre contempo!

Mais la véritable perle, je l’ai trouvée ailleurs. On comprend que dans la contemporanéisation, il s’agit d’accorder les temps — pour qu’ils concordent —, de les synchroniser: le temps du revenu et celui de l’aide. Or, ce n’est pas facile, ce qui a conduit, il y a quelques années déjà, à décaler les temps, à repousser la réforme, à l’ajourner, retarder ou postposer, à la reporter — la langue française a plus de verbes pour reculer que pour avancer; on postpose partout mais ne prépose qu’à la poste —, c’est-à-dire au report de la contemporanéisation, comme on pouvait lire dans ce joli titre sur le site web de l’USH (uëssache).

Plutôt que de report, je serais tenté, pour ma part, de parler de temporisation:  la temporisation de la contemporanéisation.
Évitons néanmoins d’envisager une contemporanéisation temporisationnée.

Sol Lewitt au Musée Juif de Bruxelles ❧

Jusqu’au 1er mai (2022), le Musée Juif de Belgique expose quelques œuvres de Sol Lewitt (1928-2007).
En 2013, j’ai pu voir son travail au Massachusetts Museum of Contemporary Art (MASS MoCA) à North-Adams (au Massachusetts, ça va sans dire). L’œuvre de Sol Lewitt se distingue de la production plastique “courante” par le fait qu’elle ne se réduit pas aux objets matériels créés, ni à des “performances“. Ce que l’on voit n’est pas l’œuvre même, mais une exécution, une représentation de celle-ci. Pensons à un concert, où l’on entend pas une partition, mais une exécution de celle-ci.

L’expo au Musée Juif est beaucoup plus petite, mais aussi passionante et intense.

 

Cliquez ici, ou cliquez sur l’image.

Ferrare, de sang et de sueur ❧

Ceci est la traduction tardive d’un texte en néerlandais, publié sur ce site en juin 2018, après mon voyage ferroviaire en Italie.

 

Commençons avec Goethe.

Zum erstenmal überfällt mich eine Art von Unlust in dieser großen und schönen, flachgelegenen, entvölkerten Stadt. Dieselben Straßen belebte sonst ein glänzender Hof, hier wohnte Ariost unzufrieden, Tasso unglücklich, und wir glauben uns zu erbauen, wenn wir diese Stätte besuchen.
Ferrara, den 16.
[Oktober 1786] nachts.

De toutes les villes italiennes que j’ai visitées ce printemps, Ferrare était la seule où Goethe est passé, dans son Italienische Reise: « Pour la première fois je suis surpris d’une sorte de déplaisir, dans cette ville grande et belle, plate, dépeuplée. Autrefois, une cour brillante animait ces rues; ici demeurèrent l’Arioste, mécontent, le Tasse, malheureux. Et nous croyons nous édifier en visitant ce séjour! » (traduction Jacques Porchat, révisée par Jean Lacoste, 2003). Je n’ai pas suivi les conseils de Goethe, qui a quitté la ville au lendemain de son arrivée.

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photos interdites

Jamais je n’aurais pensé qu’une photo prise le 5 août 2012, et publiée sur ce site, serait aussi subversive: les tours de refroidissement de la centrale nucléaire de Doel, près d’Anvers, prises en image à partir du ponton de Lillo, sur l’Escaut, soit 3 km à vol d’oiseau.
Déjà quand j’ai exposé la photo, 50 sur 70 cm, devant des collègues, j’ai reçu des commentaires hostiles ou pour le moins hésitants. Me considérait-on comme un adepte, un défenseur de l’énergie nucléaire? Alors, quoi des photos de guerres et de catastrophes? Pour moi, il s’agissait de la beauté de la lumière et du ciel, mais aussi d’une alerte, d’un rappel. Celui de ne pas oublier ce qui se passe à quelques kilomètres d’Anvers, et dont nous sommes trop dépendants.

Or, depuis le 28 janvier (2022), de telles photos sont interdites. Interdites d’être prises, et d’être publiées quand elles existent déjà. Le 9 décembre dernier, une nouvelle loi a été votée, à l’unanimité des députés, et sans qu’aucun commentaire n’ait été formulé, qui punit d’une amende de 26 à 100 euros (à multiplier par un facteur 8, je suppose, comme toutes les amendes inscrites dans la loi), et d’une peine de prison de huit jours à un an, celui ou celle qui réalise, publie, expose ou diffuse des photos ou autres images, ou des réproductions de celles-ci, de sites nucléaires.

Nous devons donc ajouter un troisième risque majeur à ceux déjà connus liés aux centrales nucléaires. À vrai dire, on s’en doutait. Au risque, certes petit, d’une catastrophe majeure qui anéantit un territoire, et le rend inhabitable pour plusieurs générations, et au risque, certain celui-là, de perdre le contrôle des déchets, car personne ne peut s’engager pour les générations à venir, s’ajoutent les menaces pour la démocratie.
Les risques (industriels, terroristes..) liés à l’énergie nucléaire sont tels, que nos sociétés sont amenées à prendre des décisions et à créer des dispositifs qui fragilisent leur fonctionnement démocratique et peuvent l’anéantir.
La nouvelle loi, présentée comme une extension d’une loi plus ancienne, qui depuis mars 2020 oblige les photos satellitaires à être floutées, et interdit les images aériennes, a été votée à l’unanimité. En moins de deux mois. Presque stoemelings. Or, nous avons des députés libéraux — et même un premier ministre de cette couleur —, nous avons des députés écologistes — et même des ministres, dont celle de l’énergie —, et nous avons des députés et des ministres socialistes. Comment font-ils rimer cette loi avec leurs idées? Ou comment fait la ministre de l’Intérieur, socio-chrétienne, qui a porté le projet? Comment fait le Conseil d’État, qui n’a trouvé rien à redire?

Plus fort que ça: quand des journalistes interrogent les collaborateurs de la ministre (le cabinet), ceux-ci renvoient vers l’Agence fédérale de Contrôle nucléaire (AFCN). Une porte-parole déclare: “Nous avons constaté que de nombreuses photos apparaissent sur lesquelles beaucoup de détails étaient visibles, tels les accès ou les mesures de protection. La loi ne nous permettait pas d’intervenir. C’est pourquoi nous avons choisi d’élargir la loi.”  Nous, c’est l’AFCN. C’est elle qui fait la loi.
Certes, l’AFCN annonce, toujours par la voix de sa porte-parole, qu’elle n’ouvrira pas la chasse à toutes les photos existantes, et respectera un principe de proportionnalité. [De raisonnabilité, “redelijkheid”, dit le texte que je lis.] Ce qui ouvre la voie à l’arbitraire et aux abus de pouvoir.

L’énergie nucléaire est au centre de nombreux débats. Certes, c’est à tort que dans l’imaginaire et dans le photojournalisme, on confond les réacteurs avec leurs tours de refroidissement — d’ailleurs seulement présentes là où l’eau de mer (Gravelines) ou des rivières ne suffit plus. Toutefois, comment mener un débat quand on n’a plus droit de montrer de quoi il s’agit?  Comment continuer à affirmer, à montrer notre dépendance, et la proximité dangereuse avec les lieux où nous habitons? La nouvelle loi est une censure. Elle enfreint la liberté d’expression et celle de la presse. Et  fait taire les citoyens. La meilleure façon de se débarrasser de cette loi est de se débarrasser de ce qui la rend “nécessaire” aux yeux de ses défenseurs. C’est-à-dire de mettre fin à l’énergie nucléaire, avant que nous n’enterrions la démocratie avec les déchets.

 

 

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