Jef Van Staeyen

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le Canal du Midi (et celui de la Garonne)

 

 

Ici, allez directement aux 29 photos (du Canal du Midi, du Canal de la Garonne, du Canal du Nivernais, et même un peu du Marais Poitevin).

 

En juillet 2014, et puis au mois d’août 2017, j’ai participé à une découverte en vélo, d’abord du Canal du Midi, dans sa version de Toulouse à Port-la-Nouvelle — la dernière partie étant une bifurcation via Narbonne, car le canal principal continue via Béziers jusqu’à Sète —, et plus tard celui de la Garonne, de Toulouse à La Réole, près de Castets-en-Dorthe où la navigation vers Bordeaux se poursuit dans le fleuve. Une vingtaine d’amis, et d’amis d’amis, dirais-je, pour des trajets de camping à camping (non réservés en juillet 2014, réservés en août 2017), toutes les affaires étant transportées dans des voitures aux volants desquelles on se relayait. Ce ne fut pas une épreuve à but sportif (d’aucuns l’ont regretté), ni un trajet culturel, qui nous aurait permis de nous arrêter longtemps devant le patrimoine artistique, architectural et de génie civil, mais plutôt l’occasion d’être ensemble, de profiter de l’espace et du temps, au demeurant fort variable, et de se dégourdir les jambes.

Cela ne nous a pas empêchés, toutefois, de découvrir et d’admirer de nombreuses merveilles, créations de la nature et/ou du génie humain.

D’autres vacances en vélo, en 2006 sur les bords des canaux de Bourgogne, m’avaient inspiré a écrire un récit-témoignage: reflets dans l’eau, publié sur ce site.

le génie hydraulique

Léonard de Vinci était un homme de qualités. Tant de qualités qu’on a parfois tendance à en rajouter. Ainsi, on le présente comme l’inventeur de l’écluse – ce n’est pas exact, mais il a beaucoup contribué à leur perfectionnement. Grâce aux améliorations technologiques des 15ème et 16ème siècles en Italie, dans les Pays-Bas et en France, il devenait possible de réaliser des canaux qui franchissent les montagnes. Toutefois, pour ce faire, il fallait réaliser des échelles d’écluses, et des souterrains, et d’énormes réservoirs pour alimenter les biefs de partage. Le premier canal à partage (comme on appelle ces canaux qui relient deux bassins de rivière) était le Canal de Briare, projeté en 1604 et réalisé de 1605 à 1611, et – après une interruption des travaux – de 1638 à 1642. Il reliait (et relie toujours) la Loire (à Briare) et le Loing, qui est un affluent de la Seine. Il comptait une quarantaine d’écluses, dont plusieurs étaient regroupées en trois échelles. À Rogny-les-Sept-Écluses, on peut toujours admirer une telle échelle, bien qu’elle ne soit plus en service depuis 1887.

rivieres et canaux de France

Les canaux, rivières canalisées et rivières navigables de France
(y compris les canaux déclassés),
avec en gras les canaux de jonction entre les différents bassins fluviaux
jvs 2006, d’après l’ouvrage “Un canal, des canaux”

Une autre liaison importante, celle du Canal du Midi, bénéficiait également de l’attention du pouvoir. En 1539, 1598, 1618 et 1633… plusieurs projets furent élaborés, mais aucun n’a pu être réalisé. Les problèmes de financement et ceux de l’alimentation en eau du bief supérieur s’avéraient insolubles. En fin de compte, c’est Pierre-Paul Riquet, fermier des impôts en Languedoc et en Catalogne, qui réussit à résoudre tant les problèmes financiers que techniques, entre autres par un examen minutieux des petites rivières et des ruisseaux dans les environs de Revel (dans la Montagne Noire du Haut Languedoc), qui allaient assurer l’alimentation du canal. Il réussit également à convaincre le roi Louis XIV et ses ministres (notamment Colbert) de l’intérêt de son projet, contribua lui-même au financement (moyennant la gabelle – les recettes de l’impôt sur le sel) et, après un appel d’offres en 1666, fut désigné comme entrepreneur des travaux. Le canal fut achevé en 1682, et inauguré en 1685. Puisqu’il avait pour but de relier la Mer Océane à la Mer Méditerranée, et ainsi de mettre fin à la dépendance de la France à l’égard de l’Espagne et de Gibraltar – le canal devait même ruinerl’Espagne – l’événement était marqué par une vingtaine de bateaux chargés de produits exotiques. Le canal culmine à 192 mètres (près du Col de Naurouze), où son bief de partage est alimenté par un ingénieux système de rigoles, de souterrains et de retenues d’eau. La principale rigole a une largeur de six mètres et une longueur d’environ 30 km. Le GR7 permet de la découvrir.

De Toulouse à Sète, le Canal du Midi mesure 241 km. Il compte de très nombreux ouvrages d’art, dont trois ponts-canaux et 101 écluses. Parfois celles-ci sont groupées en échelles, dont la plus belle et la plus célèbre se trouve à Fonsérannes, près de Béziers: neuf écluses pour franchir 21 mètres; elles sont toujours en service. Caractéristique du Canal du Midi est la forme ellipsoïdale des écluses, pour assurer la stabilité des parois maçonnées. Ce principe, déjà présent dans les canaux italiens plus anciens, fut ensuite abandonné – surtout pour des raisons propres à la navigation. Le Canal du Midi était une réussite économique et financière – ce qui ne pouvait se dire de tous les canaux. Pour améliorer encore la liaison, il fut décidé en 1828 d’améliorer la navigation sur la Garonne (donc de Toulouse à Bordeaux): le long de la rivière, un Canal latéral à la Garonne fut réalisé. Il fut achevé en 1856.
(fin de l’extrait)

histoires d’eaux

Le Canal du Midi, achevé 1682, et le Canal de la Garonne (ou, anciennement, latéral à la Garonne), achevé en 1856, bien que remplissant la même fonction de support à la navigation, sont donc tout à fait différents, l’un de l’autre. Le premier relie une rivière plus ou moins navigable, la Garonne, à un autre bassin, celui du Rhône et de la Méditerranée. Pour ce faire, il doit passer sur un col, ou seuil, ici le seuil de Naurouze, à une altitude de 192 mètres. De nombreuses écluses sont nécessaires pour atteindre ce niveau, et puis pour redescendre. Dans d’autres canaux, comme celui du Canal de Bourgogne, on préfère parfois de réaliser un tunnel pour écréter le point culminant (le tunnel de Pouilly-en-Auxois, construit en 1808, d’une longueur de 3333 mètres, sur une altitude de 377 mètres). Mais le défi le plus important, pas toujours aussi visible, ou reconnaissable, est celui d’alimenter le canal en eaux. Le bief culminant (ou bief de partage) ne correspond à aucune rivière, et il faut chercher des ressources en eau à plusieurs kilomètres, ou dizaines de kilomètres. Capter des sources, capter des ruisseaux, réaliser de longues amenées de cette eau, parfois en creusant des tunnels sous les montagnes, et réaliser des réservoirs, des lacs articiels, pour stocker les eaux abondantes du printemps et pouvoir les utiliser en été. Si l’on y ajoute l’absence de moyens mécaniques, on comprend pourquoi ces vieux canaux s’inscrivent avec soin dans le relief du pays, et comprennent de très nombreux petits ouvrages pour assurer un niveau d’eau stable et régulier, pour capter des eaux quand nécessaire, les rejeter quand elles sont trop abondantes (par les déversoirs, ou épanchoirs), ou pour croiser, moyennant un pont-canal, un ruisseau.

Le Canal de la Garonne a pour objectif de se substituer à une rivière, la Garonne, dont la navigabilité naturelle peut-être difficile ou irrégulière, à cause du dénivelé (132 mètres d’altitude à Toulouse, 4 mètres à Castets-en-Dorthe, près de La Réole ), de l’étiage ou de la surbandance d’eaux. La réalisation d’un canal latéral est la solution la plus radicale. Ailleurs, on peut voir des rivières qui sont elles-mêmes canalisées, où chaque écluse est accompagnée d’un barrage qui arrête ou au contraire laisse passer le flux d’eau, ou des rivières dont seulement certaines parties sont canalisées. [L’Yonne, ou Canal du Nivernais, est un exemple particulièrement intéressant de ce type d’aménagement hydraulique.]
L’enjeu d’un canal comme celui latéral à la Garonne est donc moins de chercher des ressources en eau, mais plutôt de bien gérer, dans le temps, celles qui sont présentes. La Garonne étant un grand cours d’eau, un problème supplémentaire peut être la rencontre avec ses affluents, ou son francissement quand il s’agit de continuer sur l’autre rive. Combiné avec la relative jeunesse du canal, deux siècles plus jeunes que son frère du Midi, ceci implique que le Canal de la Garonne possède moins de ces petits ouvrages qui font la qualité du Canal du Midi, mais au contraire deux impressionnants ponts-canaux, le premier franchissant le Tarn à Moissac (356 mètres), et le second la Garonne même à Agen (539 mètres). Preuve de son intérêt économique (passé), il comprend même une étonnante pente d’eau à Montech, ouverte en 1974 et, certes, mise hors service depuis 2005. La navigation de plaisance qui fréquente aujourd’hui le canal utilise les cinq écluses auxquelles le plan incliné devait se substituer.

du plaisir de faire du vélo

Les chemins de halage des canaux du Midi et de la Garonne ne sont pas très confortables et, à vrai dire, je m’en réjouis. Si les chemins de halage du Canal de la Garonne sont goudronnés sur la totalité du trajet (certes pas toujours d’un goudron lisse, les racines des arbres ayant fait leur travail), on ne peut dire la même chose de ceux du Midi, qui sont parfois sablonneux, irréguliers et étroits. C’est un inconvénient majeur pour le cycliste qui aurait mis ses bagages dans une remorque à deux roues, car son écartement peut être trop large pour le chemin, mais pour les autres ça évite d’être dérangés par les champions de la vitesse, pour qui le canal n’est qu’une piste. Et même les VTTistes y sont rares. On peut donc se promener à vélo.
Car telle était mon agréable surprise, pour un itinéraire dont tout le monde parle partout, et au sujet duquel on publie d’agréables guides, c’est qu’en dehors des traversées des grandes villes, ou de leur périphéries immédiates, ou près des ouvrages majeurs (les deux grands ponts-canaux), les chemins sont calmes, voire très calmes. Alors que nous étions en juillet ou en août, et que nous avons subi toutes sortes de météo: chaud, voire très chaud, et ensoleillé, avec un peu de grisaille et une brève averse en juillet 2014, et très changeant, avec de sévères averses, en août 2017. Le tourisme de masse n’est (n’était?) pas encore partout. Et il me semble même que les campings n’étaient pas pleins. [C’est parce que nous étions nombreux, qu’une réservation s’imposait au mois d’août 2017.]

Je vous donne ici quelques (trop rares) photos. Celles (plus nombreuses) avec les amis, je les garde ailleurs. Ce n’est même pas un reportage, avec les (grands) ouvrages rencontrés. Désolé. Mais je complète avec quelques photo du Canal du Nivernais et même du Marais Poitevin. Dans ce dernier cas, il s’agit d’un passage à barques, positionné à côté d’un barrage. Ce type de solution était utilisé avant l’introduction des écluses aux 10ème (Chine) et 14ème siècles (Hollande). Il ne sied qu’aux embarcations de petite taille.

 

 

 

Vienne (avec les urbanistes de la VRP)

Je reviens de Vienne, que j’ai visitée avec une trentaine d’amis et collègues urbanistes de la VRP (Vlaamse Vereniging voor Ruimte en Planning). Organisation parfaite (la VRP et ses contacts locaux), compagnie agréable.

Voici quelques photos, d’abord de mon voyage en train d’Anvers à Vienne, où le lendemain j’ai rejoint le groupe. J’ai utilisé ma demi-journée supplémentaire pour une brève mais intense visite de quelques salles du Kunsthistorisches Museum, qui héberge entre autres une douzaine de Brueghel (objets de ma visite), mais aussi de nombreuses œuvres de Rubens (parmi lesquelles het Pelsken, avec sa seconde épouse Hélène Fourment), Van Dijck, Teniers, Francken, Cranach, Vermeer, Rembrandt, etc. Le musée tenait également une petite exposition temporaire autour d’un tout petit tableau de Van Eyck (la taille d’un A5), prêté par le Musée d’Anvers (KMSKA), actuellement fermé pour travaux.

Le choix de mes photos d’architecture- et d’urbanisme n’est pas représentatif des visites. J’ai privilégié les qualités (à mon avis) esthétiques, plutôt que les valeurs documentaires. La photo avec la Haus am Michaelerplatz d’Adolf Loos fut un coup de chance, car c’est à toute vitesse que la calèche Belle Epoche est passée.
Le panneau de signalisation ‘ausgenommen’ peut surprendre, mais il s’explique: il nécessite toutefois un temps de réflexion et quelques connaissances de panneaux similaires à Vienne. Comme on peut le voir sur la photo du feu bi-colore pour piétons (‘Einbahnstraβe’), les autorités viennoises prennent quelques libertés à l’égard des images standardisées, utilisées ailleurs. [On peut voir également des panneaux de signalisation sur lesquels les hommes portent un chapeau, ce qui n’implique pas du tout qu’on doive en mettre un pour sortir dans la rue.]
La ville de Vienne a de longue date un rapport difficile et conflictuel avec le Danube. Le nouveau quartier Donau City, qui lui doit son nom, et qui est installé sur une île articielle, n’a pas réussi à l’améliorer. Il m’étonne d’ailleurs que ce projet, qui date des années 90, s’appuie sur des principes de conception urbaine qui en France ont montré leurs graves défauts dès les années 70.

(Wien, Vienna)

Turin (Torino) en cent images

Avril 2018. Je suis à Turin. Je viens de descendre du TGV en provenance de Paris. Qui m’a déposé à la gare Porta Susa. Mon hôtel est près de l’autre gare, l’ancienne: Porta Nuova. Je pense connaître le chemin — c’est la troisième fois que je suis à Turin —, et me lance. J’ai un plan de la ville, mais il se cache au fond de mes bagages. Voici mon témoignage, quelque quinze jours plus tard.

Là-bas, à Turin, j’ai dû constater, en mon corps défendant, qu’il manque quelque-chose à la nouvelle gare Porta Susa.
On sort de la gare, se retrouve dans la rue, et ignore de quelle côté est le centre-ville. Aucun signe ou langage architectural, pas de panneaux indicateurs, sauf les noms des rues que les turinois sont seuls à connaître: piazza XVIII dicembre, …. (Considère-t-on que désormais tout-un-chacun se sert d’un GPS?)
Débrouillez-vous.

Je pensais savoir par où était la ville. Mais dus constater après dix minutes ou un quart d’heure de marche que j’étais en train de me tromper, et que je m’éloignais de ma destination, le centre-ville, plutôt que de m’en rapprocher.
Ceci dit, Turin est toujours une ville très agréable, et (puisque j’ai mis du temps à constater mon erreur) la preuve que ses quartiers périphériques de première couronne sont également de grande qualité, avec des larges avenues, des arbres, des trams et de beaux bâtiments.

Voilà plus ou moins ce que j’ai écrit, le 13 mai dernier, 2018, à mon retour d’Italie, à un ami qui avait, comme moi, participé à une visite de Turin trois ans plus tôt, en 2015, avec l’association des urbanistes de Flandre, la VRP. Ça fait maintenant quatre fois que j’ai visité cette ville, et j’y retournerai encore. Elle me passionne, elle m’intrigue, elle me questionne, elle me plaît.
La première visite, c’était avec mon fils, en 2010, la conclusion d’un périple urbain en Italie qui nous avait menés à Bologne, Padoue, Milan et sept autres villes, dont justement: Turin. La seconde, ce fut cette visite professionnelle avec les urbanistes, en 2015. Quant aux troisième et quatrième, un peu bizarrement, c’était au printemps 2018 : Turin comme point de départ et de conclusion d’un nouveau périple italien, seul cette fois-ci, avec des villes comme Gênes, La Spezia, Parme, Modène, Ferrare et Plaisance. Turin est une escale fort pratique, et toujours agréable. J’aime me promener sous ses arcades. Et, quand mes pieds me fatiguent, il y a toujours ses terrasses et ses trams. Et les marches de la statue d’Emanuele Filberto sur la Piazza San Carlo.

L’habitabilité de la ville

Turin m’intrigue et me questionne, ai-je dit. Voici le paradoxe : avec Montréal, Turin partage un degré élevé d’“habitabilité” de la ville, et notamment de ses espaces publics, ses rues et ses places. On voit les Turinois et les Montréalais très à l’aise dans leurs villes. Pourtant, Montréal et Turin ont deux histoires tout-à-fait différentes, voire opposées, et répondent à des principes opposés de composition urbaine.
Turin est le fait du prince, qui missionna de grands architectes pour lui bâtir une ville parfaite. Le plan de la ville est subordonné à la gloire du monarque, les immeubles subordonnés à la ville, et les gens subordonnés aux immeubles. Ils sont les briques d’un immense monument. Mais ils semblent en tirer profits et plaisirs.
Montréal, quant à elle, est le fait de propriétaires fonciers qui se firent promoteurs, et de petites entreprises qui élevèrent les petits immeubles qui leur étaient commandés, le tout encadré par quelques principes cadastraux hérités de la féodalité française, et de modes de vie rurale souvent plus anglais. Je ne dis pas que les montréalais ont toujours été très heureux dans cette ville, notamment quand ils durent s’entasser dans des logements trop petits, mais aujourd’hui ces mêmes quartiers se montrent accueillants pour une population certes moins nombreuse mais très diverse, et qui sait tirer tout le profit et la joie de cet espace à la fois bâti et végétal.
J’ai amplement décrit Montréal et ses qualités sur ce même site web: les rues de Montréal. Pour Turin, il faudra se contenter d’un peu d’histoire, et de quelques séries de photos. J’espère toutefois qu’elles vous permettent d’apprécier l’ambiance.

Un peu d’histoire

Turin est à l’origine une ville romaine, à plan carré (770 sur 710 mètres) et trame régulière, fondé à la confluence de la Dora et du Po. Le Moyen-Âge, quand la ville fut dépeuplée, a plutôt bien préservé cette structure, certes partiellement vidée au bénéfice d’exploitations agricoles, et quelques îlots romains redécoupés. En 1559, par le traité du Cateau-Cambrésis, Emanuele Filiberto, duc de Savoie presque sans territoire, réussit à reconquérir son pays, jusque là occupé par les Français, et décida de réinstaller sa capitale à Turin. [Il abandonna à la même occasion son titre de gouverneur des Pays-Bas espagnols (la Belgique), fonction qu’il occupa pour le compte de Philippe II, roi d’Espagne, de 1555 à 1559.] En 1564, il fit construire une citadelle pentagonale (contemporaine de celle d’Anvers, 1567, et lointaine précurseure de la citadelle de Lille, 1667), ce qui lui permit d’ouvrir son palais (un château fort) sur la ville. Et ainsi de concevoir la ville entière comme un immense palais à sa gloire. [Je n’ose m’imaginer ce que ça aurait donné si Emmanuel-Philibert, pour prendre ici la graphie française, avait engagé une telle action sur, par exemple, Malines (Mechelen) en Belgique.]
Chacune des trois extensions de la ville, d’abord vers le Sud (la Porta Nuova; à partir de 1580), ensuite vers l’Est et la rivière Po (la Piazza Vittorio Veneto; à partir de 1673, ) et enfin vers l’Ouest (à partir de 1714), allait respecter les mêmes principes: le maintien et la poursuite de la trame romaine, l’imposition de règles de construction extrêmement strictes, avec des galeries et des colonnes, et la mixité fonctionelle et sociale — qui, elle, n’était peut-être pas un objectif en soi, mais le résultat des principes précédants: les riches propriétaires se réservaient les piani nobili et laissaient aux populations plus modestes et à leurs activités les rez-de-chaussée, les étages supérieurs et l’intérieur des îlots.
Les architectures peuvent être différentes, plus sobres au 16ème, plus baroques ou rococo après, et parfois des immeubles modernes, même de grandes hauteurs, se sont glissés dans la trame, mais la ville conserve une grande unité.

* * *

 

  La découverte de Turin démarre avec ses galeries couvertes, ses colonnades, lieux de passage et lieux de vie. Larges, hautes, lumineuses, élégantes et soignées, elles protègent contre les excès de la météo (la pluie, la neige, le soleil), et préservent un espace confortable contre les voitures qui, sinon, auraient pu se montrer autrement plus envahissantes. C’est toute une vie qui se développe sous les arcades.  Les galeries de Turin.

   La Piazza San Carlo est un élément central de la ville de Turin. Sur la majestueuse Via Roma, elle se trouve à mi-chemin entre la Porta Nuova avec la gare éponyme (gare centrale et anciennement principale de la ville) et la Piazza Castello, où se trouve la palais royal. La place est un chef d’œuvre de conception urbaine baroque. Elle est flanquée des églises San Carlo et Santa Christina.
Cette petite série de photos mérite trois commentaires. (1) La vue des deux églises (sur la gravure de 1740) me “poursuit” depuis longtemps. Elle fait partie de ces images qui s’impriment dans la mémoire, et qu’on est content de confronter un jour à la réalité (autre exemple: la Maria-Theresienstraße à Innsbruck). (2) Ma première visite de Turin me fit découvrir la Piazza San Carlo à la tombée de la nuit. Je voyais une place avec de vieilles façades sales. Le lendemain matin, à la lumière du jour, je voyais que cette couleur était voulue. Elle s’égaye parfois dans la couleur du soleil couchant. (3) Je reconnais que mes photos de la place ne sont pas vraiment réussies. Voilà une raison pour y retourner…

  Mais il n’y a pas que dans les galeries ou dans les rues qu’il y a à voir à Turin. Le ciel au-dessus de Turin.

   À Turin, il y a des trams partout. C’est beau à voir comment cette ville baroque est traversée par des trams du vingtième siècle. Vingtième, car l’introduction de tramways du vingt-et-unième dans cette ville, pourtant spécialisée dans les transports terrestres, semble difficile, ce qui pour un touriste comme moi n’est pas désagréable. TorinoTram.

   Bel exemple comment une ville peut être plurielle: Turin l’aristocrate est aussi Turin l’industrielle. Pas de Turin sans FIAT, et pas de FIAT sans Lingotto. L’usine fut construite à partir de 1916, mais les célèbres rampes d’accès datent de 1923-1926. Elles mènent à un circuit d’essai sur le toit de l’usine. Torino, le Lingotto.

   Et pour conclure. Non: pour compléter. Turin surprenant.

   Reggia di Venaria Reale est le château royal de la famille de Savoie, à Venaria Reale, c’est-à-dire chasse royale, tout près de Turin, construit au dix-septième siècle sur l’emplacement de deux villages (et récemment restauré).

 

la France en TER — chapitre premier: de Lille à Vierzon, ou presque

Saumur, la gare

J’ai fait un voyage en train, en ce mois de juin, sur une quinzaine de jours, sautant en TER (train express régional) de ville en ville. De Lille à Amiens, d’Amiens à Rouen, ensuite à Caen, puis Le Mans, et Angers, et enfin Saumur, et Tours. Où j’ai trouvé que je pourrais faire un saut à Blois, car de Tours, j’en avais vite fait le tour. Ce n’est que le soir, rentré de Blois, que j’ai découvert que j’aurais aussi bien pu aller à Vierzon.
J’aurais voulu voir Vierzon.
En TER, dis-je, sauf un Intercité interrégional de Caen au Mans, et un car de substitution d’Amiens à Rouen. Puis un TGV, à la fin de mon voyage, pour rentrer de Tours (Saint-Pierre-des-Corps) jusqu’à Lille. Il y avait des travaux (lourds) sur la voie entre Amiens et Rouen, qui en avait bien besoin, et, sauf à partir très tôt le matin ou sinon en début de soirée, j’ai dû me contenter d’un autocar pour relier les capitales picarde et normande — je n’aime pas les autocars, j’en parlerai — mais c’était ça ou un trajet en TGV par Paris, avec en prime le métro entre les gares du Nord et Saint-Lazare. La joie.

le français moderne

J’aime les voyages en train — l’ai-je déjà dit? J’ai encore quelques projets dans ce sens, pas nécessairement en France, et mon périple de ville en ville, de province et province — neuf villes dans quatre nouvelles régions — est en quelque sorte un substitut et une convergence.
Substitut, car c’est d’abord un voyage en train vers et en Écosse que j’avais prévu de faire ce printemps (sans aboutir à organiser tous les éléments nécessaires: les trains et les hôtels, un bus et une voiture de location, quand-même). Caen en lieu et place de Fort William, l’Anjou pour les Highlands, et les vins de Saumur pour le whisky, pourquoi pas d’ailleurs? Je ne suis pas particulièrement fan de tartan et de folklore, donc sur ce plan je n’ai rien perdu.
Convergence, parce qu’un tel voyage me fait, aussi, revivre de nombreux souvenirs ferroviaires, parmi lesquels je me limite à nommer celui d’Auxerre à Avalon (1976), celui de Niort à Naucelle, par Bordeaux et Toulouse (1985), ou mes vacances ferro-urbaines dans le Nord de l’Italie (2010 et 2018). Caen et Angers se substituent donc moins à Fort William et Inverness qu’à Parme et Padoue. Et puis, il y avait peut-être aussi une réminiscence de ces quelques vacances en routard, en 1975 dans le Nord de la France. [J’habitais Anvers, alors.]


Amiens, la place de la gare et la Tour Perret

Je tape “le français moderne” dans mon moteur de recherche, et espère trouver de vieux livres scolaires. Mais ce n’est pas facile, car je trouve en premier lieu une des plus anciennes revues de linguistique française, fondée en 1933″. Ce n’est qu’en fouillant plus loin sur le web que je déniche ce qui a pu être mes livres scolaires de français en 6ème et 5ème (12 et 13 ans), le français moderne, par G. Dujardin, chez De Standaard boekhandel à Anvers. J’ignore si les phrases Jean est un garçon, Martine est une fille datent de cet ouvrage, mais ce dont je suis sûr c’est que, étalé sur deux années scolaires, les deux enfants et leurs parents faisaient un tour touristique complet de la France, une fois l’Ouest, l’autre fois l’Est. Mes souvenirs sont vagues — ai-je fait attention en classe? — car les rares lieux dont je suis certain sont Saint-Nazaire, les Landes et Ronchamp. Ils doivent avoir filé vite, Jean et Martine et leurs parents, dans leur voiture, mais plus d’un demi-siècle plus tard leurs pérégrinations m’inspirent encore… en TER de Lille à Vierzon. Ou presque.
Je donnerais cher pour retrouver ces livres, comme pour ceux de littérature française les années suivantes. Les premiers ont certainement contribué à définir ma vue sur le pays, et les seconds, par ailleurs très beaux, très soignés, mon regard sur la littérature. Or, les parents, comme les écoles, jettent trop facilement les objets de la vie quotidienne de leurs enfants.

billets

Il n’est pas dans mon intention de vous raconter ici tout mon voyage de Lille à Tours et Blois, c’est-à-dire tout ce que j’ai vu ou vécu, mais plutôt de partager l’expérience ferroviaire. Mon voyage en TER.
La préparation n’a pas été simple. Je voulais à tout prix choisir moi-même les trains — des trains régionaux — et éviter les lignes en étoile vers et à partir de Paris, que la SNCF aime proposer, ne serait-ce pour remplir ses TGV. Or une vue globale sur le réseau ferroviaire pour voyageurs n’existe pas. Heureux qui comme automobiliste peut faire un long voyage, et choisir sur les belles cartes de chez Michelin (ou les moches sites web avec Earth ou Map) le trajet qu’il préfère. Rien de tout ça pour le ferrovipathe occasionnel: sauf à s’abandonner pieds et poings liés à la SNCF (oui!) ou à un autre vendeur de déplacements, il doit bricoler avec différentes cartes et différentes fiches horaires. Il existe une carte nationale des TGV (avec quelques extensions transfrontalières), une carte nationale des intercités (qui couvre très inégalement le pays), et des cartes régionales des TER, chacune répondant à une logique différente de ses voisines. [Voyez ici les différents plans de réseau que j’ai pu trouver.] Quant aux fiches horaires, on doit deviner ce qui pourrait exister comme desserte, et agir par tatonnement. Ce n’est qu’ensuite qu’on peut aller sur les sites web de la SNCF ou des TER pour acquérir les billets, tout en veillant à avoir noté les horaires, car les billets ne les mentionnent pas tous. Pour une raison que j’ignore, ces billets ont d’ailleurs des formes différentes, et il y en a qu’on peut imprimer chez soi, et d’autres qu’il faut nécessairement retirer en gare (avec la même carte bancaire et le code qu’on a reçu). Enfin, arrivé en gare, on peut être amené à choisir un autre train. Comme je l’ai fait sur le très court trajet entre Tours et Saint-Pierre-des-Corps (5 minutes), où j’ai laissé partir un vieux corail, dont les marches, les portes et les couloirs sont peu adaptés aux bagages, pour lui préférer un superbe TER dans lequel rentreraient même des vélos.

[Je me souviens pourtant du temps, les années soixante-dix, où les corails français avec leurs salles et leurs sièges en seconde me surprenaient par leur confort et leur modernité, qui tranchaient avec mes expériences belges des banquettes. Comme de celui, des années plus tard, où ces mêmes corails, alors de Niort à Paris, hébergeaient de véritables aires de jeux et où ma fille, à peine arrivée à Paris-Austerlitz, un voyage de trois ou quatre heures, réclamait de pouvoir repartir en sens inverse.]


les gares de Rouen et de Blois

liseré vert

Ceci dit, ne comptez pas sur la SNCF pour afficher les horaires en gare, comme le font très bien les chemins de fer belges et italiens (et d’autres, je présume). Un affichage lumineux de bonne qualité annonce certes les premiers départs et les prochaines arrivées, mais jamais tous les trains de la journée, et encore moins de la semaine. Concrètement, si le matin vous arrivez dans une ville, et souhaitez consulter ou vérifier les horaires de retour, ou de poursuite vers une autre destination, vous ne trouverez pas cette information pourtant essentielle affichée quelque-part.
À la fois pour exprimer mon mécontentement à ce sujet, et pour mieux me renseigner, j’ai à plusieurs occasions demandé aux guichets informations les différents horaires pour telle ou telle destination, que certaine fois on m’a imprimés, et d’autres notés sur un bout de papier. Merci quand-même. Les cheminots sont plus sympas que la société où ils travaillent.


Caen, la gare

En effet, la SNCF ne semble pas considérer ses clients comme des voyageurs, capables et volontaires de choisir eux-mêmes leurs itinéraires, mais comme des gens qu’on transporte d’une origine à une destination, qui se désintéressent du parcours, et à qui on offre une place assise, une prise de courant et du wifi. Remarque: lors de la préparation (avortée) de mon voyage en Écosse (quand je me suis débattu avec les offres concurrentielles des chemins de fer écossais et… britanniques, qui chacuns offraient des abonnements aux conditions commerciales différentes pour les mêmes trains), un prestataire, à qui je demandais de me réserver les billets, m’a proposé, après mûre réflexion… une voiture de location. Plus globalement, malgré l’intérêt porté à quelques itinéraires particulièrement attractifs tels, en Écosse justement, le West Highland Railway, ou en Norvège la Flåmsbana, le voyageur ferroviaire ne semble pas exister. Aucune carte Michelin — disons Micheline, pour les connaisseurs — ne l’accompagne lors de ses découvertes, aucun liseré vert ne le renseigne de la beauté des paysages traversés, même dans les gorges de l’Allier sur la ligne de Paris à Marseille. Alors: quid des campagnes de la France du Nord-Ouest entre la Picardie, la Normandie et l’Anjou?


La Micheline, dont il est question dans le texte — par un jeu de mots — est en réalité un autorail sur pneus développé dans les années 30 par la société Michelin et, par extension, toute une génération d’autorails, y compris avec des roues en acier. Le prototype de la photo à gauche date de 1931; le modèle de droite (un “type 22”) de 1936.

consigne

La regrettable absence d’affichage des horaires n’est pas pour autant significative de la qualité des gares et des services et conforts qu’elles offrent. Ne me demandez pas un aperçu comparatif des gares visitées, de leurs boutiques, guichets, sanitaires et facilités d’attente, de la luminosité et propreté, ou de l’amabilité des personnels… mais l’impression globale est très bonne. Surtout dans cette saison printanière. Ce qui leur manque pourtant toutes, me semble-t-il, c’est une consigne pour les bagages. Pour le voyageur éventuel de passage (celui qui a quelques heures à perdre dans la ville), comme pour celui dont l’hôtel ne possède pas de bagagerie (oui, ça existe), ce petit manque peut être un grave défaut.

Mais on ne voyage pas que pour les gares, il y a aussi les trains. Et là, c’est épatant. Tous les trains que j’ai pris — tous! —, c’est-à-dire quand-même neuf exemplaires différents (plus un TGV), étaient comme neufs, ou pour le moins très récents. Je reconnais qu’en voyageant hors des heures d’affluence du matin ou du soir, il m’a été plus aisé d’apprécier ce confort, mais tous ces trains offraient de larges places faciles, propres et lumineuses, et correctement climatisées. Et ils avançaient, accéléraient et ralentissaient en douceur. Ils disposaient de systèmes d’information “en temps réel”, informant les voyageurs par messages visuels et audio (mais sans exagération) des gares desservies. [Je mets “en temps réel” entre guillemets, car les heures d’arrivée en gare n’étaient pas ajustées lors des quelques retards.] Il y a avait des places pour les vélos, ou autres véhicules plus encombrants. Enfin, plusieurs, mais pas tous, s’accordaient parfaitement avec le niveau des quais. Ne me demandez pas les références de ces matériels roulants. À nouveau, je ne suis pas assez ferrovipathe pour noter et conserver ce genre d’informations. Quelle qu’en soit la qualité en matière d’exploitation ferroviaire, une rame électrique TER demeure moins intéressante à observer et nommer qu’une vieille locomotive à vapeur, polluante et bruyante.


accord parfait entre un quai et une rame

substitutions

Électrique, dis-je, sauf pour l’intercité entre Caen et Le Mans, qui est diésel (ou diésel-électrique). Ça s’entend (le vrombissement), ça se ressent (les vibrations), et ça se sent (l’odeur, qui se répand dans les gares).
[Une rame diésel-électrique produit elle-même son électricité. Elle comprend un générateur, qui fonctionne au diésel, et des moteurs électriques sur les essieux. Certaines rames diésel-électriques peuvent être 100% électriques lorqu’elles roulent sous caténaire, mais ne le font pas pour autant.]
Mais là, entre Normandie et Haut-Maine, c’est un autre monde qu’on découvre, quand à Mézidon le train quitte la grande ligne de Caen vers Paris. Le pays semble vide, comme si le train l’explorait lentement. Il pousse, souffle et tangue. Avant d’arriver à Alençon, et puis au Mans, il s’arrête plusieurs fois, on dirait en rase campagne: à Surdon, il n’y a que des champs autour de la gare (et une bifurcation, qui sans doute justifie cet arrêt), mais à Sées (dont je n’avais jamais entendu parler) on voit sur la gauche une ville plutôt importante (4000 âmes) autour de l’immense vaisseau et des deux clochers d’une église qui à la lecture apparaît être la cathédrale gothique Notre-Dame, construite dès le 12ème siècle.
[D’où je conclus que lors de la préparation de mon périple de ville à ville, de cathédrale à cathédrale, abbaye à abbaye ou château à château, il y a une étape, Sées, sa cathédrale, son abbaye, que j’ai négligée.]


Normandie

Le réseau ferré écossais — oui, c’est d’Écosse que je parle ici —, très très grossièrement, a la forme d’un U. Plusieurs voies relient Glasgow, le Sud-Ouest, à Édimbourg, le Sud-Est; de Glasgow part une superbe ligne vers le Nord, côté Ouest, avec le déjà mentionné West Highland Railway; et d’Édimbourg partent plusieurs lignes par l’Est, jusqu’à la pointe extrême à Thurso, où l’on trouve les bateaux des Orcades (Orkney Islands). Entre ces deux réseaux, Ouest et Est, il manque un raccordement, un maillage, par exemple entre Fort William et Inverness, par le Loch Ness. Seul un autocar, ou un long retour par le Sud et les grandes villes, relie les deux branches entre elles. Sans être complètement rédhibitoire, ce défaut m’avait fait hésiter à partir en Écosse (mais, je précise, n’a pas été la raison du report du projet). De même — en France, cette fois-ci — la difficulté de trouver un train entre Amiens et Rouen, qu’au premier abord je ne comprenais pas (car j’ignorais les travaux sur la ligne) m’avait bien perturbé. Je n’aime pas les cars. Le trajet d’un mercredi-matin entre Amiens (10h27) et Rouen (13h12) m’a donné l’occasion et le temps d’y réflechir, et d’essayer de comprendre. Faut dire que le paysage très verdoyant qui m’a été offert sur les petites routes entre Picardie et Normandie était très beau, aussi beau qu’il aurait pu l’être le long d’une voie ferrée. On m’a même donné un bonus: 2h45 de paysage en car, contre 1h15 en TER. Pour quelqu’un qui aime le voyage lent, n’est-ce pas un avantage? [Question d’autant plus pertinente que, heureux hasard, l’heure d’arrivée à Rouen était parfaite pour que je découvre les haies d’honneur que les Rouennais avaient constituées tout au long de mon trajet vers l’hôtel, l’avenue Jeanne d’Arc, à vrai dire moins pour moi que pour admirer le Défilé des Marins qui allait passer quelque deux heures plus tard. Rouen accueillait l’Armada, qui est la rencontre de grands voiliers sur la Seine.]
Et puis, la SNCF fait ça bien: un agent, parfois le ou la chef(fe) de gare accompagne les deux ou trois voyageurs jusqu’à l’arrêt du car de substitution, veillant au bon déroulement des opérations. Tant mieux, car la signalisation peut avoir des faiblesses.


Amiens, gare routière — indication du quai de départ du car de substitution pour Rouen

slow tourism

Ceci dit, même quand on n’est que trois passagers, dans un car on est à l’étroit, alors que dans un train on a souvent (mais pas toujours) beaucoup d’espace, y compris la possibilité de se dégourdir les jambes. Un car, c’est la radio du chauffeur qui crache des musiques quelconques, qu’on entend trop bien et pas assez. C’est les bagages abandonnés dans un grand coffre qui ouvre largement sur les trottoirs. Et c’est surtout une circulation irrégulière qui chambarde, chamboule et bouscule, entre arrêts, freinages et accélérations, ronds-points et autres virages — favorisés, il est vrai, dans le cas d’une substitution, par le fait que les gares desservies se trouvent localisées sur les voies ferrées et pas sur les routes principales, ce qui amène beaucoup de tours et détours, voire des impasses. Enfin — mais est-ce subjectif? — je me sens bien plus rassuré et à mon aise sur le quai d’une gare, avec un train dont je sais où il va, que sur la plateforme hasardeuse d’où partira un bus incertain. Le plaisir des trains faisait partie du voyage, et ce plaisir je suis incapable de l’avoir dans un car.
Le car est un moyen idéal pour les déplacements des groupes, sur des itinéraires qui leur sont propres. Mais son succès actuel sur les moyennes distances résulte plutôt de distorsions de concurrence et de compétitions acharnées entre transporteurs, favorisées par des autorités publiques dont les politiques de mobilité ne sont pas exemptes de contradictions. Encourager les transports en car quand les routes sont pleines, l’air pollué et le climat menacé, il faut faire.
La voyage de ville en ville que je viens de réaliser, jamais je ne le ferais si par malheur aux trains se substituaient des cars.


Serqueux (Normandie), entre Amiens et Rouen

Deux petits “incidents”, ou peut-être trois, ont quelque peu perturbé les trajets. À Arras, entre Lille et Amiens, nous avons dû attendre l’arrivée du machiniste — le contrôleur nous l’a annoncé avec le sourire. Le train a pris une dizaine de minutes de retard, qu’il a facilement rattrapé pour arriver à l’heure à Amiens. Cinq trajets plus tard, entre Angers et Saumur, notre train a dû s’arrêter une petite demi-heure en pleine voie, le temps de réparer son système de freinage, retard que la faible distance entre les deux villes n’a pas permis de combler. [Notez que, là aussi, le personnel a pensé à informer correctement les voyageurs dont j’étais.] Enfin, à Angers, avant ce départ, je pense que nous avons échappé à une évacuation de la gare, quand une serviette ‘de couleur marron’ avait été oubliée sur un quai — tel était en tout cas le message haut-parlé. On s’est limité, il me semble, à éloigner les voyageurs et à déporter les positions des trains pour leurs arrivées en gare.
Quelque 20% d’incidents, dont 10% à l’origine d’un retard — les petits nombres font les grands pourcentages — d’aucuns jugeront ces taux élevés. C’est peut-être parce que je suis touriste ayant le temps que je ne m’en suis pas plaint. C’était d’ailleurs un peu la philosophie de mon voyage. Des trajets de trente minutes (à vrai dire trop courts, entre Angers et Saumur et entre Saumur et Tours) jusqu’à deux heures (1h50 pour Caen-Le Mans), en moyenne un jour sur deux, et un bon livre à la main. S’il n’y avait pas des cyclistes qui font les mêmes trajets en vélo — et si les TER n’atteignaient pas les 160 km par heure — je parlerais volontiers de slow tourism. Quoi qu’il en soit, j’ai pris mon temps. Quant au livre (Le Roman de Ferrare de Giorgio Bassani, 830 pages, chez Gallimard, clin d’œil à mon périple ferro-ferrare-urbain de l’année dernière), ce n’est pas dans les trains, où le paysage défile, toujours changeant et passionnant, mais dans les gares, les jardins, les abbayes, etc., que je l’ai lu.

Si j’ajoute que dans ces trains, il y a toujours un contrôleur, qui fait bien plus que contrôler, et qui pour ceux qui ont un billet est une présence rassurante (on peut lui poser mille et une questions), je pense avoir tout dit, ou presque.
[Il n’y  a que le TGV où l’on n’a vu personne, de Saint-Pierre-des-Corps jusqu’à Roissy; mais entendu son message: correspondance pour Paris et pour la terre entière.]


modernité

Je ne parlerai pas ici de toutes les lignes et gares supprimées ces dernières années ou décennies, mais, pour les gares et les trains préservés, mon constat est clair: les régions et la SNCF avec elles ont fait d’énormes efforts pour offrir un service de qualité. J’y vois même une certaine émulation: les régions se font de la pub avec leurs noms et leurs logos affichés sur des rames flambant neuves qu’elles envoient jusqu’à chez leurs voisines, où elles vantent leur modernité. Les gares (et leurs environnements urbains, et leurs transports urbains, bus ou trams) ne sont pas en reste. Comme voyageur de TER, sur ces dessertes et à ces horaires, je me suis senti gâté.


la gare de Caen et son futur tramway (mise en service prévue en juillet 2019)

Je m’interroge toutefois sur le devenir de cette qualité. L’ouverture à la concurrence, dont l’Europe est le héraut — non, plus que ça: le prêtre et le gendarme —, risque de concentrer l’offre et la compétition sur les lignes les plus importantes, et y prélever le gras nécessaire au fonctionnement de l’ensemble du réseau. Quant aux réseaux régionaux, également ouverts à la concurrence, par concession ai-je compris (un prestataire négocie un contrat territorial, comme il se fait pour les transports urbains), ils risquent fort de s’atomiser davantage, reproduisant au sein du territoire français les frontières multiples qu’on connaît avec les réseaux étrangers (voyager de Lille à Courtrai ou Tournai, quelle aventure, et quels prix!): rupture des lignes et des services, discontinuité des informations, des abonnements et de la billetterie, abérration des tarifs, etc.
Le futur slow tourist, par manque de trains ou d’informations fiables les concernant, ira-t-il à pied ou en vélo?

Mais avant qu’on en soit là, peut-être que j’entreprendrai un chapitre deux, démarrant à Tours ou Vierzon. Ensuite Châteauroux? Montluçon? Bourges et sa cathédrale? Qui sait?


Saumur, dans la gare

Jeanne d’Arc

Ailleurs sur ce site web, j’ai installé et installerai progressivement quelques autres textes et photos de mon voyage, pour tout ce qui n’est pas ferroviaire. Rubens à Saumur ou Jeanne d’Arc à Oran (?), par exemple. Ou ces quelques photos de l’île Saint-Aubin et de la Maine, près d’Angers.
À suivre.

 

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