Jef Van Staeyen

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notre mémoire perdue de Katharina Blum ❧

Nous avons vidé la maison parentale. Les meubles, les affaires, les livres.
Dans la bibliothèque de mon père, j’ai choisi quelques romans. Dont ceux d’Heinrich Böll.
L’honneur perdu de Katharina Blum — que je viens de relire, en néerlandais — m’a autant impressionné qu’il y a cinquante ans. Ce livre n’a rien perdu de sa force.

mauvaises fréquentations

Katharina Blum a 27 ans. Elle a deux handicaps, et son comportement deux incohérences. Ses handicaps sont qu’elle est jolie, et qu’elle travaille bien et beaucoup. Elle travaille comme aide ménagère et dans l’horeca: les cafés, restaurants, fêtes et réceptions. Où elle se fait souvent harceler, surtout quand elle organise des événements au domicile de personnes influentes. Les incohérences dans son comportement, jugées suspectes, sont d’une part qu’il lui arrive souvent de prendre sa Volkswagen pour rouler pendant des heures et des heures, sans destination précise — ce qu’elle fait de préférence sous la pluie sur des routes arborées —, et d’autre part qu’étant connue comme prude et réservée — on l’appelle parfois “la nonne” — il vient de lui arriver, un soir de jeudi gras (Weiberfastnacht), de tomber sous le charme d’un homme jamais rencontré, de danser toute la soirée avec lui de façon fort intime, de décider sur le champ de vouloir vivre avec lui, et de l’amener chez elle. Or cet homme est un criminel — ce qu’elle ignore — pris en filature par la police, et elle l’aide à s’évader de son appartement. Les ennuis ne se font pas attendre, d’abord avec la police et ensuite avec la presse à scandales: la Zeitung. De l’avis de la police, la rencontre avec le gangster le soir de la fête n’était pas fortuite mais planifiée, et Katharina est une complice. Pourquoi tous ces kilomètres, soi-disant sans destination aucune? Où allait-elle? Pourquoi a-t-elle pris le tramway pour aller à la fête où elle a rencontré cet homme? Qui est le visiteur dont parlent les voisins — un homme important dont elle fuyait la présence, mais dont elle refuse de révéler l’identité —, et qui lui a offert une bague onéreuse — dont elle ne voulait pas non plus?
Pour la presse, en tous cas la Zeitung, il n’y a pas que ça. Les doutes de la police se transforment en certitudes, voire sont déformées et sa défaveur: Katharina devient le centre d’un réseau criminel qui menace la sûreté de l’État, et ceux qui lui sont proches sont trainés dans la boue. Tous? non, car la Zeitung est sélective dans ses opérations de démolition.
Puisqu’il apparaît que certaines infos ont fuité du bureau de la police pour être exploitées par la Zeitung, Katharina s’en plaint, à quoi le procureur lui répond que “celui qui n’a pas de mauvaises fréquentations, ou ne s’y frotte pas par hasard, n’offre aucune opportunité à la presse de déformer la réalité”. Katharina ferait partie de “l’histoire actuelle”, qu’à l’aide de la presse à scandales les gens ont le droit de connaître.
En réaction à quoi, sa vie détruite, Katharina décide d’accorder une interview au journaliste de la Zeitung, et l’abat d’un coup de feu.

pas de Böll à la bib

Cet aboutissement, nous ne le découvrons pas à la fin du roman, mais à son début, ce qui fait partie du style et de la structure magistrale du livre. En 58 brefs et parfois très brefs chapitres, Böll prend le lecteur par la main, et lui présente le récit comme un reportage au ton parfois sec et administratif et ailleurs ironique, mais en désordre chronologique. Ce qui me fait penser au roman (bien plus récent) Puhdistus (Purge) de Sofi Oksanen en 2008.
Je conseille aux lecteurs de ne pas se décourager devant les bizarreries de style et de contenu des deux premiers chapitres, et de bien mémoriser les noms allemands qui parfois se ressemblent. Ceci étant fait, l’histoire court comme un train.

J’ai relu deux fois le livre (en néerlandais) et découvert ensuite que j’ai également une édition de poche en allemand, éditée en France, dans la collection “Lire en Allemand”, avec (la plupart du temps) des explications en allemand et (plus rarement) des traductions en français. Couplée avec la lecture en néerlandais, cette version originale en allemand m’a plutôt réussi.
Entretemps, je constate qu’il n’y a aucun Böll dans les librairies, et très peu à la bibliothèque. Dont aucune Katharina Blum.

 

Post scriptum: Die verlorene Ehre der Katharina Blum a été portée à l’écran par Volker Schlöndorff et Margarethe von Trotta en 1975.

ce que les églises sont pour Naples, le métro l’est pour Montréal ❧

 

Il y a quelques mois à peine, le 13 novembre 2021, j’ai publié sur ce site un article élogieux au sujet de l’architecture du métro de Montréal. Une nouvelle visite à cette ville, en avril 2022, m’a apporté de nouvelles photos et de nouvelles idées. En combinant les “anciennes” et les récentes, j’ai pu réaliser des photo-reportages — certes toujours incomplets… — des quatre lignes de métro de Montréal. J’y ajoute un regard sur l’organisation fonctionnelle, particilièrement intelligente, de trois des quatre stations de correspondance que compte le réseau.

  La ligne verte Angrignon — Honoré Beaugrand compte 27 stations, dont 22 sont reprises dans ce photo-reportage.

  La ligne orange Côte-Vertu — Montmorency compte 31 stations, dont 26 sont reprises dans ce photo-reportage. Les stations de correspondance Lionel Groulx et Berri-UQAM, déjà mentionnées pour la ligne verte, sont également reprises.

  La ligne bleue Snowdon — Saint-Michel compte 12 stations, toutes reprises dans ce photo-reportage. Ici aussi, les stations de correspondance déjà montrées — dans ce cas Snowdon et Jean Talon, de la ligne orange — sont également reprises.

  Pour être complet — encore que — voici la ligne jaune Berri-UQAM — Longueuil-Université de Sherbrooke. La ligne est courte et son nom est long, seulement 3 stations, dont la première, Berri-UQAM, était déjà présente pour les lignes verte et orange, et dont la dernière, Longueuil…, manque encore dans le reportage. Vous n’y trouverez donc que deux “nouvelles” photos d’une seule station, Jean Drapeau, photos d’aileurs prises en 2013 déjà.

  Trois des quatre stations de correspondance — Lionel Groulx, Snowdon et Berri-UQAM — sont des chefs d’œuvre pour ce qui est de l’organisation des flux de voyageurs. Lisez et regardez ici pourquoi.

Et ceci est, en rappel,  un lien vers le texte écrit en novembre 2021, que je compte compléter dans l’avenir.

En décembre 2023, le Cahier de l’Espace public a publié ma contribution au sujet du métro de Montréal: le Trésor souterrain de Montréal.

 

étoiles ★★★★

De façon très subjective et encore incomplète, j’attribue les étoiles de qualité suivantes aux stations de métro.

★★★★ quatre étoiles: Verdun et Radisson (ligne verte), et Bonaventure (ligne orange),

★★★ trois étoiles: De l’Église, Peel, Langelier (ligne verte), Plamondon, Place Saint-Henri, Georges Vanier, Lucien L’Allier, Jarry (ligne orange), et Outremont (ligne bleue),

★★★ trois étoiles également, pour l’organisation des flux de voyageurs: les stations de correspondance Lionel Groulx, Snowdon et Berri-UQAM,

★★ deux étoiles: Angrignon, Monk, Jolicœur, Charlevoix, Place des Arts, Beaudry, Préfontaine, Joliette, Pie IX, Viau, Assomption, Cadillac (ligne verte), Du Collège, De la Savane, Côte Saint-Catherine, Villa Maria, Vendôme, Rosemont, Beaubien, Jean Talon, Crémazie, De la Concorde (ligne orange), Côte des Neiges, Université de Montréal, Édouard Montpetit, Acadie, Parc, De Castelnau, Jean Talon, Fabre, D’Iberville en Saint-Michel (ligne bleue),

★ une étoile: Saint-Laurent, Frontenac (ligne verte), Côte-Vertu, Namur, Sherbrooke, Mont Royal, Henri Bourassa, Cartier, Montmorency (ligne orange), et Jean Drapeau (ligne jaune),

aucune étoile: Guy Concordia, McGill et Papineau (ligne verte).

pas encore évaluées: LaSalle, Atwater, Honoré Beaugrand (ligne verte), Square Victoria OACI, Place d’Armes, Champ de Mars, Laurier, Sauvé (ligne orange), et Longueuil Université de Sherbrooke (ligne jaune).
[Je signale que LaSalle, dont je viens de voir des photos, semble être un candidat sérieux pour obtenir plusieurs étoiles.]

 

Remarquez:

  • La plupart des stations ont de (très) bonnes notes. Beaucoup de stations ont deux étoiles. Peu nombreuses sont les stations qui n’atteignent pas ce niveau élevé. Sur la ligne bleue, toutes les stations ont deux ou même trois étoiles.
  • Plusieurs fois, il a été difficile de choisir entre deux ou trois étoiles: Monk, Charlevoix, De la Concorde…
  • Il reste possible que certaines stations obtiennent des étoiles supplémentaires, après des visites complémentaires à venir, notamment dans les édicules sur la rue ou dans d’autres éléments que je n’ai pas encore eu l’occasion de visiter.
  • Mes choix (et donc mes étoiles) privilégient les qualités spatiales et la clarté des trajets plutôt que la nature des finitions ou la présence d’œuvres d’art. Je dois avouer aussi que j’ai un faible pour l’architecture brutaliste (Verdun, De l’Église, Outremont…).
  • Tout cela est et reste subjectif.

Ensemble avec les photos, les descriptions et les schémas, ces nombreuses étoiles témoignent de la qualité du métro de Montréal, qui mérite vraiment qu’on le visite et admire — et l’utilise, car il est fort pratique. Ce que les églises sont pour Naples, le métro l’est pour Montréal.
Vaut le voyage.

n’oublions pas Mr. Fenchel — À l’est d’Eden, John Steinbeck ❧

Par les temps qui courent — la guerre en Ukraine, s’entend — il peut être opportun de relire ce bref extrait du roman “À l’est d’Eden” de John Steinbeck. La scène se passe à Salinas, en Californie, fin 1917 ou début 1918, alors que les États-Unis sont entrés en guerre contre l’Allemagne. Par un souvenir de jeunesse personnel, Steinbeck avertit ses lecteurs des risques d’amalgame, entre un pays ennemi (dans ce cas l’Allemagne) et ses ressortissants (les Allemands), surtout quand ils ont la malchance d’habiter là où l’on aimerait ne pas les voir (un paisible Allemand, Mr. Fenchel, parmi ses concitoyens états-uniens).

Le fichier joint donne d’abord ce bref extrait en anglais, et puis deux traductions, d’abord en néerlandais, et puis en français: “We had our internal enemies too, and we exercised vigilance.”

 

Trois petites remarques:

  • C’est en passant à la Grande bibliothèque du Québec à Montréal que j’ai pu copier le texte français. [Certes, il doit y avoir beaucoup d’autres lieux où le trouver, mais là c’était le plus pratique.] Cette bibliothèque est sublime!
  • La traduction française de 1954, pourtant rééditée en 2007 (!) — et toujours diffusée — comprend dans ce bref extrait de deux pages: (1) une grosse erreur, (2) une petite erreur et (3) une faiblesse. Je me suis permis de les corriger — et m’interroge sur la qualité du reste du texte.
  • Dans le contexte socio-économique actuel The Grapes of Wrath (Les raisins de la colère), également de John Steinbeck, 1939, mérite également d’être (re)lu. Si vous ne lisez pas tout, lisez au moins le chapitre 19 (page 240 et suivantes): “…cette grande vérité: lorsque la propriété est accumulée dans un trop petit nombre de mains, elle [leur sera] enlevée… et cette autre, qui lui fait pendant: lorsqu’une majorité a faim et froid, elle prendra par la force ce dont elle a besoin…“.

trésor de la langue française

chers amis francophiles,

Il m’a fallu du temps pour découvrir ce joyau. Cette perle. Ce bijou. Cette pépite de la langue française.
C’est un article du Monde du 19 mars — Réforme du calcul de l’APL [aide personnalisée au logement]: le cauchemar des agents de la CAF [Caisse des allocations familiales] — qui m’a fait tomber dessus: la contemporanéisation.
En bref, il s’agit de calculer le montant des aides mensuelles (aujourd’hui l’APL, demain aussi d’autres) sur les données les plus récentes. Alors que dans le passé c’étaient les revenus de deux ans plus tôt qui servaient de référence. Maints ménages et maintes personnes se sont fait piéger par ce mode de calcul, dont la suppression fera aussi — qui s’en étonnerait? — quelques économies au budget de l’État.

Il faut penser que les têtes d’œuf, c’est-à-dire les consultants qui ont conseillé l’État — car c’est le consultant qui conseille, et celui qui cherche des conseils qui consulte… sauf en médecine, où la consultation est bidirectionnelle quand le patient consulte un médecin qui consulte… —, après avoir mûrement réfléchi, se sont laissé tomber la tête fatiguée sur le clavier de leur mac au moment où il s’agissait de trouver un nom pour la chose. Il en est résulté une incompréhensible succession de suffixes, produisant le substantif contemporanéisation, véritable piège orthographique, sans oublier son incommensurable imprononçabilité. Je suppose alors que les agents de la CAF, et autres personnes martyrisées par le calcul des aides, se cassent la tête (la leur, et parfois celles des autres) quand il s’agit de contemporanéisationner.
À l’imparfait du subjonctif, ça doit donner: je ne m’imaginais pas que nous contemporanéisationnassions autant.

Je précise toutefois que le verbe contemporanéisationner n’existe pas encore. À mon avis, il ne manquera pas d’apparaître, vu la tendance à créer de nouveaux verbes en “tionner” chaque fois qu’un problème se présente (qu’un verbe initial semble oublié, ou trop difficile à conjuguer), ou pour signaler un léger décalage de signification. Pensons à solutionner, révolutionner, questionner, positionner, voire acquisitionner et libérationner.
À l’inverse, il n’est pas impossible que dans les services, on parle plutôt de la contempoSi vous avez un instant, madame, je vous fais votre contempo!

Mais la véritable perle, je l’ai trouvée ailleurs. On comprend que dans la contemporanéisation, il s’agit d’accorder les temps — pour qu’ils concordent —, de les synchroniser: le temps du revenu et celui de l’aide. Or, ce n’est pas facile, ce qui a conduit, il y a quelques années déjà, à décaler les temps, à repousser la réforme, à l’ajourner, retarder ou postposer, à la reporter — la langue française a plus de verbes pour reculer que pour avancer; on postpose partout mais ne prépose qu’à la poste —, c’est-à-dire au report de la contemporanéisation, comme on pouvait lire dans ce joli titre sur le site web de l’USH (uëssache).

Plutôt que de report, je serais tenté, pour ma part, de parler de temporisation:  la temporisation de la contemporanéisation.
Évitons néanmoins d’envisager une contemporanéisation temporisationnée.

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