Jef Van Staeyen

Étiquette : littérature (Page 3 of 3)

éloge de l’écrivain visionnaire

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Suddenly Winnie-the-Pooh stopped, and pointed excitedly in front of him. “Look!”
“What?” said Piglet, with a jump. And then, to show that he hadn’t been frightened, he jumped up and down once or twice more in an exercising sort of way.
“The tracks!” said Pooh. “A third animal has joined the other two!”
“Pooh!” cried Piglet “Do you think it is another Woozle?”

“No,” said Pooh, “because it makes different marks. It is either Two Woozles and one, as it might be, Wizzle, or Two, as it might be, Wizzles and one, if so it is, Woozle. Let us continue to follow them.”

Winnie-the-Pooh et son copain Piglet suivent des traces de pieds (de pattes)… qui sont les leurs. Cet exemple montre que la célèbre scène de Dupond et Dupont dans Tintin et le Crabe aux Pinces d’Or (1940-1941) est plus ancienne qu’on ne pense, car A.A. Milne l’a écrite quinze ans plus tôt (1926) dans le chapître 3 de son Winnie-the-Pooh.

En langue savante, ce que montre A.A. Milne avec Winnie-the-Pooh (et plus tard Hergé avec Dupond et Dupont) s’appelle le biais cognitif de confirmation, conceptualisé en 1960 par le psychologue britannique Peter Wason (1924-2003). L’esprit humain privilégie les informations qui confortent ce qu’il pense — ici: nous sommes sur le bon chemin —, et rejette les informations contradictoires.

L’imagination de l’écrivain (Milne) et du dessinateur de bédé (Hergé) a précédé les travaux du chercheur scientifique (Wason). Ici, c’est un des artistes (Hergé) qui a le mieux su populariser l’idée — ses dessins sont célèbres —, le nom Wason et le terme biais cognitif de confirmation sont réservés aux sachants. Mais dans d’autres cas, c’est la créativité anticipatrice des artistes qui est méconnue, visionnaire et précurseur de ce que des scientifiques ont découvert et (dans un certain sens) popularisé des décennies, voire des siècles plus tard.
Ce texte donne trois exemples (peut-être que j’en trouverai davantage), avec Thoreau (la vitesse généralisée), Balzac (l’automobilité) et Steinbeck (la classe créative et la gentrification).

Jean Migault, journal d’un réfugié ❧

En avril 1688, le pasteur Jean Migault, maître d’école et notaire à Mougon (Poitou), accompagné de cinq de ses enfants, s’est embarqué à La Rochelle pour fuire son pays et les dragonnades de Louis XIV, et refaire sa vie en Hollande. Quelques fils ainés l’avaient précédé. Un an plus tard, en 1689, Jean Migault a mis la dernière main à son Journal, démarré dès 1683. Chacun de ses enfants en a reçu un exemplaire manuscrit. “Puis que tu te plais à lire mon écriture, je me suis diverty ces derniers jours à t’en faire une bonne provision pour ton premier jour de l’an prochain, qui sera environ le temps que tu recevras ce paquet. Je croy que tu en seras surpris, et que tu n’attends pas de recevoir des estrennes de cette natture.” (dédicace à son fils Gabriel, dans le manuscrit trouvé à Brême) “Je crois que, tant que nous vivrons, il nous souviendra de cette triste nuit”, décrit-il une tentative antérieure, en décembre 1687, pour quitter le pays.

plaisirs de la langue — Tortilla Flat ❧

The feeling in the house was the feeling of a rock when the fuse is burning in toward the dynamite.

“We have been his friends for years. When he was in need, we fed him. When he was cold, we clothed him.”
“When was that?” Pablo asked.
“Well, we would have, if he needed anything and we had it. That is the kind of friends we were to him. And now he crushes our friendship into the ground for a box of big candy to give to an old fat woman.”
“Candy is not good for people,” said Pablo.

“If thou wert a little more charitable with thy wine, these things would not happen.”

J’ai eu grand plaisir à lire Tortilla Flat de John Steinbeck: le plaisir de la langue, des sons, des mots et des phrases.

J’ai lu le livre trois fois. Une première pour le plaisir pur. La seconde un crayon à la main, en quête de citations et d’extraits, et avec un dictionnaire pour les mots que lors de ma première lecture j’avais préféré ignorer (cutting squid, quixotic, aeredales, drawn lashes, he broke mules…). Et une troisième pour vérifier. Avec autant de plaisir.

pourquoi je ne lirai pas “Histoire de la violence” d’Édouard Louis

 

Edouard_LOUIS-Histoire_de_la_violence

Il y a quelques semaines, j’ai acheté et puis lu “En finir avec Eddy Bellegueule” d’Édouard Louis (2014). Remarquable. Par le sujet — plutôt les sujets —, son traitement, son style.
Dans Le Nouvel Observateur (12 janvier 2014), Didier Eribon relevait “la prouesse” que constitue l’imbrication de deux registres linguistiques, pour en déduire que “la réussite littéraire est indéniable” [c’est sur wiki que j’ai trouvé cette citation]. Une appréciation que partage François Bunel (L’Express, 30 janvier 2014; idem wiki] et à laquelle je ne peux que souscrire.
Plus fort: parfois Édouard Louis se risque à un troisième niveau de langage, quand il se place comme observateur, presque sociologue du récit.

Cette lecture fut un encouragement pour en lire davantage: “Histoire de la violence” (2016). Rien que la quatrième de couverture suffit pour convaincre.
Le style est aussi fort, mais la construction trop complexe. Encouragé par les commentaires à juste titre élogieux sur “Eddy Bellegueule”, Édouard Louis doit avoir voulu pousser plus loin la prouesse. Au risque de devenir académique. Il abandonne la chronologie, et change les perspectives. Quant à moi, lecteur, je bute dès le deuxième chapitre (ci-dessus), pourtant démarré plusieurs fois.

L’a-chronologie d’un récit n’est plus chose rare. Le cinéma avec ses flash-back est passé par là. “Purge” (“Puhdistus”) de Sofi Oksanen (2008) en est l’exemple extrême, et un bijou. Après avoir lu ce roman, il y a deux ans, j’ai remis ses 79 chapitres dans l’ordre (de 1936 à 1992), et entrepris une nouvelle lecture. Ça aide à comprendre et apprécier, et offre même une seconde vie à l’histoire, mais ne constitue pas pour autant une critique de la composition telle que l’auteure l’a pensée.

Va donc, pour l’a-chronologie, qui est d’ailleurs plus proche de la façon dont nous nous souvenons d’événements et reconstruisons un récit. Le problème — pour moi — c’est les changements de perspective.
Regardez le début de ce chapitre Deux, où “ma sœur”  raconte l’histoire. Remarque, malgré la première phrase, elle ne “poursuit” rien du tout. Peu importe. L’auteur raconte comment elle raconte ce que lui il a dit. Et y ajoute ses propres commentaires. C’est ingénieux comme construction littéraire, vertigineux même — chapeau! — mais quand moi j’essaie de monter dedans, je me ramasse.

J’ai pourtant essayé plusieurs fois.
Voilà pourquoi je ne lirai pas “Histoire de la violence”.
À mon regret.

 

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